Le retrait de l'OTAN pourrait plonger l'Afghanistan dans une «guerre par procuration» entre l'Inde et le Pakistan, prévient l'ancien président pakistanais Pervez Musharraf dans un entretien à l'AFP où il revient également sur les erreurs de la «guerre contre le terrorisme» américaine après 2001.

Le chef de l'État afghan Ashraf Ghani a effectué ce weekend sa première visite officielle au Pakistan, destinée à faire repartir d'un bon pied les relations entre Kaboul et son voisin avant la fin décembre et le retrait de l'essentiel des forces de l'OTAN, qui ouvre une période d'incertitude pour la stabilité de son pays.

Mais pour le Général Musharraf, porté au pouvoir par un coup d'État militaire en 1999 et qui fut officiellement jusqu'à son départ sous la pression populaire en 2008 un allié clé des Américains, la paix en Afghanistan passe surtout par l'apaisement des relations entre l'Inde et le Pakistan.

«L'influence indienne y est un danger pour le Pakistan. Les Indiens veulent créer un Afghanistan anti-pakistanais», affirme dans sa maison de Karachi (sud) l'ancien général, inculpé après son retour en 2013 de divers crimes liés à ses années de règne, de la haute trahison au meurtre, et qui ne peut quitter le pays.

L'Inde et le Pakistan, deux puissances nucléaires rivales nées de la partition des Indes britanniques en 1947, ont régulièrement par le passé déplacé leur hostilité en Afghanistan.

Si Delhi est réputé proche de la population tadjike du nord de l'Afghanistan, Islamabad a souvent joué la carte pachtoune, peuple majoritaire dans le sud et l'est de l'Afghanistan et dans le nord-ouest du Pakistan. L'ethnie d'origine des talibans afghans, qu'Islamabad est depuis longtemps accusé de soutenir.

«Si les Indiens instrumentalisent certaines ethnies en Afghanistan, le Pakistan instrumentalisera ses propres relais ethniques, certainement pachtounes. Cette guerre par procuration doit être empêchée», martèle M. Musharraf.

Reconnaître les talibans

Si l'ancien homme fort d'Islamabad maintient avoir pris la bonne décision en soutenant la «guerre contre le terrorisme» américaine après le 11-Septembre, il affirme que la coalition occidentale a «échoué» à transformer la «victoire militaire» contre les talibans en «victoire politique» en Afghanistan, car elle y a trop concentré le pouvoir dans les mains des Tadjiks du Nord.

Il pointe plusieurs erreurs des Américains, notamment le fait d'avoir, au départ, exclu les Pachtounes de la reconstruction de l'armée afghane: «Ils se sont aliéné les Pachtounes et cela a provoqué la résurgence des talibans».

Le Pakistan avait été l'un des trois seuls pays à reconnaître le régime fondamentaliste des talibans, avant que ceux-ci ne soient chassés du pouvoir par les Occidentaux fin 2001 et n'entrent en rébellion.

«En 2000, le président (américain Bill) Clinton était venu au Pakistan me demander pourquoi nous avions des relations avec les talibans», raconte M. Musharraf. «Je lui avais répondu: «Vous devriez (aussi) les reconnaître»».

En reconnaissant les talibans, les puissances étrangères auraient pu les «modérer» et les convaincre de ne pas détruire les Bouddhas géants sculptés dans les falaises afghanes de Bamiyan, voire d'abandonner leur soutien à Oussama Ben Laden (qui précipita l'intervention militaire occidentale, NDLR), dit-il.

Après le 11-Septembre, Pervez Musharraf fut accusé par des responsables américains de faire «double jeu» en soutenant officiellement Washington tout en hébergeant clandestinement au Pakistan les chefs d'Al-Qaïda et des talibans afghans.

Et cette proximité perdure aujourd'hui. «Nous ne sommes pas les ennemis des talibans afghans», a admis lundi Sartaj Aziz, principal conseiller diplomatique de l'actuel Premier ministre Nawaz Sharif, en les invitant à négocier la paix avec Kaboul, dans un entretien au service ourdou, la langue nationale du Pakistan, de la BBC.

Ces propos moins diplomatiques que d'ordinaire et en ligne avec ceux de M. Musharraf ont embarrassé le gouvernement pakistanais, qui a publié dès mardi un communiqué précisant qu'il combattait «le terrorisme sous toutes ses formes» au moment où le chef de sa puissante armée, Raheel Sharif, effectue une visite officielle aux États-Unis.