Le travail forcé est largement répandu au sein de l'industrie électronique malaisienne, qui est très populaire auprès des grandes multinationales du secteur.

À tel point qu'il existe un «risque systémique» pour toute entreprise assurant une partie de sa production dans ce pays d'Asie du Sud-Est d'encourager indirectement des pratiques assimilables à de l'esclavage.

Le constat figure au coeur d'un rapport d'une organisation non gouvernementale américaine, Verité, qui a mené avec le soutien financier du gouvernement américain une vaste étude sur le sort des travailleurs de l'industrie.

Près de 500 ouvriers ont été interrogés par les chercheurs de l'organisation, qui conclut que 28% de la main-d'oeuvre utilisée par les usines malaisiennes produisant des appareils ou des composantes électroniques se trouve en situation de travail forcé.

En considérant uniquement les travailleurs étrangers - qui sont recrutés par dizaines de milliers dans des pays pauvres comme le Népal et la Birmanie - le chiffre grimpe à 32%.

Un résultat d'autant plus préoccupant que les chercheurs ont utilisé une définition restrictive du travail forcé pour arriver à un estimé conservateur du phénomène, note en entrevue le président de l'ONG, Dan Viederman.

«Les chiffres sont très élevés... Un travailleur sur trois se trouve en situation de travail forcé et 46% de plus sont à risque de le devenir», relève-t-il.

Sous la menace

Verité a utilisé la définition de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui parle de travail forcé lorsqu'une personne est obligée de s'exécuter «sous la menace d'une peine quelconque» et qu'elle n'a pas offert sa collaboration «de son plein gré» sur la base d'informations fondées.

Dans la quasi-totalité des cas, les travailleurs étrangers ont dû payer des frais de recrutement à la firme qui les a embauchés et qui les chapeaute durant leur séjour en Malaisie. Non moins de 70% d'entre eux ont emprunté de l'argent pour pouvoir s'acquitter de leur dette, qu'ils mettent parfois plus d'un an à rembourser.

Non moins de 92% de ceux qui étaient endettés ont déclaré qu'ils se sentaient obligés de faire des heures supplémentaires pour parvenir à leurs fins.

Un travailleur sur cinq affirme avoir été trompé sur le salaire, les heures hebdomadaires, les heures supplémentaires ou les termes de cessation de contrat.

Même si la pratique est théoriquement interdite dans le pays, 94% des ouvriers sondés ont souligné que leur passeport était retenu par leur employeur.

Des sous-traitants

Selon M. Viederman, un nombre important de sociétés agissent comme intermédiaires entre les ouvriers et les fabricants en Malaisie, brouillant les responsabilités juridiques et favorisant les abus.

L'ONG note que le travail forcé est plus fréquent dans des usines chapeautées par des sous-traitants, mais qu'il existe aussi dans certains établissements gérés directement par des multinationales. «C'est plus facile pour elles dans ce cas-là de mettre leurs affaires en ordre», souligne l'activiste.

Bien que le rapport n'identifie nommément aucune entreprise, les entrevues menées auprès des ouvriers ont permis d'identifier qu'ils travaillaient sur «une vaste gamme de marques bien connues et de composantes utilisées par ces marques», note M. Viederman.

L'agence Reuters relevait hier que plusieurs multinationales américaines, japonaises et coréennes - incluant notamment Samsung, Sony et Intel - sont présentes en Malaisie. Quelques-unes ont réagi au rapport en relevant qu'elles n'employaient pas de travailleurs étrangers ou disposaient de politiques «rigoureuses» pour empêcher les abus.

EN CHIFFRES

21: nombre, en millions, de personnes victimes de travail forcé à l'échelle de la planète

19: nombre, en millions, de victimes du travail forcé exploitées par des particuliers ou des entreprises privées

150 milliards: profits illégaux générés dans l'économie privée grâce au travail forcé

Source: Organisation internationale du travail (OIT)