Kim Jong-un ne la trouve pas drôle. Le dictateur nord-coréen a menacé les États-Unis de «représailles impitoyables» mercredi en apprenant que Hollywood s'apprête à le parodier dans une comédie. Une réaction qui, selon les spécialistes, est symptomatique d'un régime en perte d'appuis parmi sa propre population.

L'objet de la colère de M. Kim s'appelle The Interview - une comédie tournée à Vancouver qui sortira le 14 octobre aux États-Unis. Les acteurs Seth Rogen et James Franco y jouent le rôle de journalistes qui, après avoir réussi à convaincre Kim Jong-un de leur accorder une entrevue, sont chargés par la CIA de l'éliminer.

Mais ce type d'humour ne plaît visiblement pas au dirigeant nord-coréen. Dans un communiqué diffusé mercredi, le dictateur qualifie le film d'«acte de terrorisme» et d'«acte de guerre absolument intolérable». Les réalisateurs y sont décrits comme des «gangsters». Et le dirigeant promet des «représailles impitoyables» si l'administration américaine n'interdit pas la diffusion du film.

Benoit Hardy-Chartrand, chercheur au Centre pour l'innovation et la gouvernance internationale, observe ces hauts cris avec beaucoup d'attention.

«Ce n'est pas la première fois qu'une parodie cible la Corée du Nord - je pense facilement à sept ou huit autres films du même genre, dit-il. Mais c'est la première fois que la Corée du Nord réagit avec autant d'indignation.»

Selon M. Hardy-Chartrand, une partie du tollé s'explique peut-être par le fait que le dirigeant nord-coréen est visé par un assassinat dans la nouvelle comédie. Mais le spécialiste croit qu'il y a plus.

«La barrière de l'information que le régime déploie pour isoler le pays est de plus en plus poreuse, explique-t-il. Même s'il sera interdit, un certain pan de la population verra le film, et verra Kim Jong-un ridiculisé. Le régime en est bien conscient et n'aime pas ça», explique M. Hardy-Chartrand.

«Il peut parler aux dauphins»

On peut déjà comprendre les craintes du régime en visionnant la bande-annonce du film. Dans une scène, une agente de la CIA tient une séance d'information à l'intention des deux journalistes sur le point de partir en Corée du Nord.

«Le peuple de Kim Jong-un croit tout ce qu'il lui dit - y compris qu'il peut parler aux dauphins ou qu'il n'urine et ne défèque jamais», explique l'agente.

Les Nord-Coréens seront exposés à de telles moqueries alors qu'ils accordent déjà de moins en moins de crédibilité à leur jeune dictateur.

«Ce qu'on entend de la part des réfugiés qui font défection, c'est que l'appui au régime est de plus en plus vacillant, et que celui-ci ne parvient plus à exercer le même niveau de contrôle», dit Benoit Hardy-Chartrand.

Quant au risque de voir Kim Jong-un mettre ses menaces à exécution, l'expert invite à ne pas trop s'inquiéter.

«À l'heure actuelle, la Corée du Nord n'a pas les capacités de frapper les États-Unis, dit-il. Rappelons-nous qu'en 2013, le régime proférait des menaces quasi quotidiennes envers la Corée du Sud et avait fait le même genre de déclaration de guerre.»

Selon lui, les propos virulents du dictateur visent avant tout à attiser le patriotisme de ses propres citoyens - une tactique qui pourrait fonctionner compte tenu de la désinformation et de l'antiaméricanisme qui a cours en Corée du Nord.

M. Hardy-Chartrand, qui s'est rendu deux fois dans le pays, raconte y avoir vu des panneaux de propagande le long des routes montrant un gros poing qui écrase une carte des États-Unis.

«Les enfants se font inculquer cette haine des Américains à un très jeune âge. J'ai vu récemment un reportage à la télévision nord-coréenne où des enfants tiraient à l'arc sur des photos de George W. Bush et de la présidente sud-coréenne», raconte-t-il.

Inutile de rappeler que si le régime nord-coréen fait rigoler Hollywood, il n'a rien de drôle pour ceux qui vivent sous son joug. Meurtres, viols, torture, disparitions, transferts de population: dans un rapport publié en février dernier, l'ONU a conclu que le régime se livre à des crimes contre l'humanité «semblables à ceux des nazis».