L'armée thaïlandaise était sous pression mercredi de la communauté internationale pour une levée rapide de la loi martiale, censée régler la crise politique mais qui fait craindre pour la démocratie.

Plus de 24 heures après l'annonce de la loi martiale «pour restaurer la paix et l'ordre public» après sept mois d'une crise meurtrière, les soldats étaient invisibles dans les lieux du centre de Bangkok où ils avaient été déployés mardi.

Les militaires ont laissé au pouvoir le gouvernement intérimaire, très fragilisé depuis la destitution début mai de la Première ministre Yingluck Shinawatra. Ils ont assuré également que cette loi martiale, prévue par la Constitution, n'était pas un nouveau coup d'État dans un pays qui en a connu 18, réussis ou non, en un peu plus de 80 ans.

Mais l'armée, investie de nouveaux pouvoirs, a imposé la censure des médias et annoncé mercredi de nouvelles restrictions, portant à 14 le nombre de télévision privées d'antenne et interdisant aux chaînes et journaux de citer tout commentaire politique ne venant pas de responsables officiels.

L'armée, qui a invité les différentes parties à des discussions à une date non précisée, n'a pas indiqué combien de temps serait appliquée la loi martiale. Mais elle a laissé entendre qu'elle pourrait durer.

La situation «doit être résolue rapidement, avant que je ne prenne ma retraite (fin septembre, ndlr), sinon je ne prendrai pas ma retraite», a ainsi prévenu l'influent chef de l'armée de terre Prayut Chan-O-Cha lors d'une réunion mardi avec des représentants du gouvernement, selon des propos rapportés par un responsable militaire.

Combien de temps?

La communauté internationale, inquiète, a appelé les autorités militaires à respecter les principes démocratiques.

«Nous voulons voir un retour rapide d'une démocratie complète en Thaïlande et le respect des institutions démocratiques», a déclaré Danny Russel, secrétaire d'État américain adjoint chargé de l'Asie de l'Est. Les États-Unis, alliés militaires de Bangkok, ont toutefois jugé qu'il ne s'agissait pas d'un coup d'État.

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a de son côté appelé toutes les parties «à exercer la plus grande retenue, à s'abstenir de toute violence et au respect total des droits de l'Homme».

Les défenseurs des droits de l'Homme sont eux allés plus loin. La loi martiale «est en réalité un coup d'État qui menace les droits de l'Homme de tous les Thaïlandais», a dénoncé Human Rights Watch, critiquant en particulier les violations de la liberté de la presse.

Depuis la dissolution du Parlement en décembre, le gouvernement visé depuis près de sept mois par un mouvement de rue qui a fait 28 morts et des centaines de blessés, ne peut qu'expédier les affaires courantes.

Et les législatives de février n'ont pas aidé à sortir de l'impasse. Elles ont en effet été invalidées par la justice en raison de leur perturbation par les manifestants.

Ces derniers réclamaient la tête de Yingluck Shinawatra et la fin de l'influence de son frère Thaksin, ancien Premier ministre renversé par un coup d'État en 2006 et qui reste malgré son exil le personnage à la fois le plus aimé et le plus détesté du royaume.

Manifestants des deux camps mobilisés

Malgré la récente destitution de Yingluck par la Cour constitutionnelle, les manifestants ne sont pas rentrés chez eux, réclamant toujours un Premier ministre «neutre», qui selon eux devraient être nommé par le Sénat.

L'intervention mardi de l'armée, qui s'était jusqu'alors montrée réticente à se mêler de cette crise, ne les a pas non plus satisfaits.

«Nous allons continuer à nous battre. Nous n'avons pas du tout gagné», a ainsi déclaré leur leader Suthep Thaugsuban devant ses partisans toujours rassemblés dans le centre de Bangkok.

Les Chemises rouges pro-Thaksin étaient également toujours réunies mercredi dans une banlieue de Bangkok.

La présence dans la capitale de ces forces rivales fait craindre de nouvelles violences dans un pays qui vit depuis le putsch de 2006 au rythme des manifestations des masses défavorisées du nord et du nord-est, fidèles à Thaksin, et de ses ennemis, proches des élites de Bangkok.

Le dernier épisode avait fait plus de 90 morts et 1900 blessés en 2010. Les Rouges avaient alors occupé le centre de la capitale pendant deux mois, avant un assaut de l'armée.

Alors que Thaksin ou ses proches ont remporté toutes les élections depuis 2001 mais ont été plusieurs fois chassés du pouvoir, par l'armée ou la justice, les Rouges ont cette fois mis en garde contre une guerre civile en cas de chute du gouvernement.

Le Premier ministre par intérim Niwattumrong Boonsongpaisan, dont le gouvernement a assuré n'avoir pas été prévenu de l'intervention de l'armée, a de son côté proposé de nouvelles législatives pour le 3 août. Des élections que les manifestants antigouvernemantaux refusent toujours.

PHOTO AFP

Le chef de l'armée thaïlandaise Prayut Chan-O-Cha.