Le premier ministre nationaliste japonais Shinzo Abe a franchi jeudi une étape supplémentaire dans sa volonté de voir l'armée japonaise jouer un plus grand rôle extérieur et de ne plus être cantonnée à l'auto-défense.

Après avoir reçu un rapport d'experts, M. Abe a expliqué en conférence de presse les raisons qui le poussent à vouloir modifier différentes lois pour consacrer le droit à l'«auto-défense collective», un terme plutôt barbare qui en fait cache une évolution historique pour le Japon d'après-guerre: le droit pour l'armée de participer à des opérations militaires extérieures pour aider des alliés, au premier rang desquels les États-Unis, mais aussi d'utiliser la force dans le cadre d'actions de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU.

«En tant que Premier ministre, j'ai la responsabilité de protéger la vie des gens en toutes circonstances. Et je ne pense pas que la Constitution dise que nous devions abandonner cette responsabilité», a plaidé M. Abe, tout en prenant soin d'éviter de donner l'image d'un «va-t-en-guerre», comme l'en accuse régulièrement Pékin.

Depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2012, Shinzo Abe a donné des signes explicites de sa détermination à «muscler» son pays: il a rapidement fait augmenter le budget de la défense, modestement mais une première depuis onze ans au Japon.

En avril, le Japon a levé en outre l'interdiction de vendre des armes à l'étranger qu'il s'était imposé pendant près d'un demi-siècle.

Pour pousser ses feux, Shinzo Abe a un argument de poids: la Chine et ses ambitions régionales grandissantes, notamment en mer de Chine orientale et méridionale, sur fond d'augmentation à deux chiffres de son budget militaire tous les ans.

- Pacifique, normal mais fort -

Dès son introduction, le rapport du panel d'experts a d'ailleurs insisté sur le fait que «l'environnement sécuritaire du Japon a considérablement changé».

Après avoir capitulé le 15 août 1945, le Japon s'est vu imposer en 1947 par le vainqueur américain une Constitution, jamais amendée depuis et dont l'article 9 consacre la renonciation «à jamais» à la guerre.

C'est précisément cet article que Shinzo Abe semble vouloir modifier. Il a même fixé une échéance pour toiletter la Constitution: 2020, année olympique pour Tokyo. «Je pense qu'alors le Japon aura totalement rétabli son statut et apportera une grande contribution à la paix dans la région et le monde», avait-il commenté au début de l'année.

Une façon de vouloir définitivement tourner la page de la guerre et de présenter le Japon comme un pays pacifique, normal mais fort.

«Si nous pouvons accroître notre dissuasion, cela évitera à notre pays d'être impliqué dans une guerre», a-t-il d'ailleurs justifié jeudi.

Mais pour modifier la Constitution la route risque d'être longue et compliquée pour plus d'une raison.

La Charte elle-même comporte plusieurs garde-fous: son article 96 précise que les amendements doivent être introduits à l'initiative de la Diète (le parlement bicaméral) par vote des deux tiers au moins des membres de chaque chambre. Les amendements doivent ensuite être approuvés par référendum avec une majorité des suffrages.

Ensuite, le parti au pouvoir (Parti Libéral-Démocrate, PLD) doit pouvoir compter sur l'appui de son partenaire au sein de la coalition au pouvoir, le Nouveau Komeito, un parti centriste qui n'est pas très chaud pour suivre le «faucon» Abe sur ce terrain.

Enfin, les uns après les autres, les sondages montrent qu'à une large majorité, les Japonais sont attachés à leur constitution pacifiste.

Pendant que M. Abe distillait ses explications, plusieurs centaines de militants pacifistes s'étaient d'ailleurs rassemblés devant ses bureaux pour exprimer leurs inquiétudes.

Plutôt que de modifier la Constitution et de s'attaquer frontalement à l'article 9, Shinzo Abe a donc finalement préféré la voie de la «réinterprétation».

«Ce sera la première réinterprétation de la constitution, cela constitue un tournant dans la politique du pays», estime néanmoins Tomoaki Iwai, professeur de sciences politiques à Tokyo.