L'Australie, qui oblige depuis 2012 l'industrie du tabac à utiliser des «paquets neutres» pour commercialiser ses produits, devra défendre l'initiative devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Un panel d'experts indépendants chargé de statuer sur la question doit être formé prochainement à la demande de cinq pays qui accusent les autorités de Canberra de nuire indûment à leurs intérêts commerciaux et de menacer les emplois liés à ce secteur d'activité.

Trois fabricants de cigares, soit Cuba, la République dominicaine et le Honduras, ainsi que deux pays exportateurs de cigarettes, l'Indonésie et l'Ukraine, pourraient ultimement être autorisés à prendre des mesures de rétorsion si le panel leur donne raison.

L'Australie, qui a été prise à partie par l'industrie du tabac dès l'annonce de son initiative, s'est dite confiante d'obtenir gain de cause devant l'instance internationale chargée d'arbitrer les différends commerciaux.

Les paquets neutres imposés par le pays sont d'une couleur verdâtre et comportent des mises en garde et des photos d'organes ou de personnes malades. Les noms des marques sont inscrits en petites lettres à l'avant du paquet, dans un style standardisé, de manière à ce qu'il soit impossible de les distinguer d'un coup d'oeil.

Une étude menée en Australie alors que la mesure était introduite progressivement indique que les fumeurs utilisant les paquets neutres étaient plus susceptibles d'être insatisfaits des produits utilisés. Et plus portés que ceux qui achetaient les paquets traditionnels à vouloir cesser toute consommation.

Le ministère de la Santé australien affirme que les paquets en question «découragent les jeunes qui voudraient commencer à fumer et encouragent les fumeurs à arrêter».

«Nous sommes convaincus qu'il s'agit d'une bonne mesure de santé publique», commente la porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, Flory Doucas.

Les documents divulgués devant les tribunaux dans le cadre de diverses procédures ciblant l'industrie du tabac démontrent, dit-elle, «à quel point l'emballage joue un rôle crucial dans l'image des marques».

La loi australienne a été chaudement accueillie au moment de son introduction par l'Organisation mondiale de la santé, qui décrit le «conditionnement neutre» des paquets comme une manière «extrêmement efficace de contrer les tactiques redoutables de commercialisation de l'industrie».

Le Dr Fernand Turcotte, spécialiste en santé publique, pense que l'offensive de l'industrie du tabac contre les paquets neutres témoigne, en soi, du fait qu'ils «nuisent au commerce».

Selon lui, le recours à l'OMC n'a rien de surprenant puisque les compagnies de tabac et les pays producteurs ont souvent saisi des instances de commerce international pour protéger leurs intérêts. «C'est du harcèlement juridique», juge-t-il.

Les firmes de tabac maintiennent de leur côté que la mesure envisagée est «sanitairement inefficace et économiquement dangereuse». Ils estiment que le recours aux paquets neutres va augmenter les risques de contrefaçon et maintiennent que les restrictions imposées à l'usage des marques constituent une atteinte à leur droit de propriété intellectuelle.

Une décision attendue

La bataille en cours intéresse la Grande-Bretagne, l'Irlande et la Nouvelle-Zélande, qui songent à emboîter le pas à l'Australie.

Le gouvernent anglais avait décidé l'année dernière de reporter d'un an sa décision dans le dossier et s'était retrouvé pris dans une polémique après qu'il eut été révélé qu'un proche conseiller du premier ministre David Cameron avait aidé l'industrie du tabac à lutter contre l'introduction de paquets neutres en Australie.

Mme Doucas, de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, pense que le Canada devrait aussi prendre exemple sur l'Australie. La possibilité d'imposer des paquets neutres avait été discutée sérieusement au début des années 2000, mais n'a pas connu de suite, dit-elle.

Le gouvernement conservateur, note la porte-parole, se borne à dire pour l'heure qu'il «suit de près» la situation à l'OMC.

Des dossiers litigieux

La polémique sur les «paquets neutres» est loin d'être le seul dossier dans lequel l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a été appelée à statuer sur une plainte liée à une initiative visant à protéger la santé publique.

L'organisation avait notamment autorisé le Canada et les États-Unis à la fin des années 90 à imposer des sanctions commerciales sur plusieurs produits européens après que l'Union européenne eut interdit l'importation de viande provenant d'animaux traités aux hormones de croissance.

L'OMC avait, à l'inverse, tranché en faveur de la France en 2001 lorsque le pays a décidé d'interdire toute importation d'amiante.

Le Canada, qui comptait une importante industrie de production d'amiante, largement concentrée au Québec, avait saisi l'organisation, s'estimant injustement lésé.

«Des questions de santé légitimes peuvent prendre le pas sur des intérêts commerciaux», avait affirmé le commissaire européen chargé du commerce de l'époque, Pascal Lamy.