Menacés par les services secrets, les talibans, des groupes rebelles armés et même des politiques, le tout sans protection réelle de leurs employeurs et du gouvernement, les journalistes sont en «état de siège» au Pakistan, alerte Amnesty International dans un rapport publié mercredi.

Depuis le 11-Septembre, au moins 50 journalistes ont été tués dans l'exercice de leur fonction au Pakistan, un des pays les plus dangereux au monde pour les reporters avec la Syrie et l'Irak. Et cette tendance s'est accentuée au cours des dernières années.

Mais si dans ces zones de guerre du Moyen-Orient, les journalistes sont en grande partie victimes d'affrontements, au Pakistan, géant musulman d'Asie du sud, ils se retrouvent au carrefour de multiples tensions, ce qui les placent dans «une position impossible», explique le vice-directeur d'Amnesty pour l'Asie, David Griffiths, à l'occasion de la publication attendue de ce rapport de l'organisation de défense des droits de l'homme.

C'est que deux des journalistes les plus célèbres du pays, Raza Rumi, d'Express TV, et Hamid Mir, étoile de la chaîne d'information Geo News, ont réchappé au cours du dernier mois à des tentatives d'assassinats ciblés.

Fin mars, Raza Rumi, un défenseur des minorités, a vu son chauffeur se faire tuer sous ses yeux à Lahore (est) par des hommes soupçonnés par la police d'être membres du Lashkar-e-Jhangvi (LeJ), un groupe islamiste armé proche des talibans. Il a depuis quitté le Pakistan avec sa famille pour des raisons de sécurité.

«Les talibans ont publié en début d'année une liste de personnes à tuer, mon y nom figurait. Des gens me disaient que c'était sérieux, d'autres que c'était pour me faire peur... Je ne pensais pas qu'une (attaque) allait venir si vite», confie à l'AFP le journaliste en exil.

Et le 19 avril, des hommes ont vidé leurs chargeurs à Karachi (sud) sur la voiture de Hamid Mir, qui a survécu malgré avoir été criblé de six balles. Le journaliste le plus influent du pays a accusé l'ISI, les puissants services de renseignement, d'avoir commandité cette tentative de meurtre.

Une balle dans la tête, la nouvelle censure

Depuis, sa chaîne Geo et l'ISI sont dans un état de guerre larvée, la plupart des médias soutenant les services secrets, entité presque impossible à critiquer au Pakistan, et pourtant soupçonnée «de violations graves des droits de l'homme contre les journalistes», au même titre que les talibans et des partis politiques, souligne Amnesty dans son rapport.

«Les services secrets ont été impliqués dans de nombreux kidnappings, dans la torture et les meurtres de journalistes, mais aucun responsable de l'ISI n'a été tenu responsable», regrette Amnesty, appelant le gouvernement à enquêter sur les services de renseignement et à mettre fin à l'impunité.

Amnesty écorche aussi les partisans du MQM, premier parti politique de Karachi, les rebelles de la province du Baloutchistan (sud-ouest), des groupes extrémistes comme le Lashkar-e-Jangvi et les talibans, pour des gestes allant de l'intimidation aux meurtres, selon les cas.

Dans le rapport, le journaliste Rana Muhammad Azeem affirme ainsi avoir reçu un appel d'un présumé taliban juste après avoir condamné l'assassinat de trois employés de la chaîne Express TV par les insurgés en janvier dernier.

«L'homme m'a houspiller car je parlais contre eux et m'a dit: "Une balle a été choisie pour toi"», se souvient ce journaliste.

Résultat, «parce que les auteurs (de ces attaques ou menaces) sont rarement traduits en justice, les journalistes recourent à l'auto-censure pour se protéger», constate M. Griffiths.

Si Amnesty dénonce les fossoyeurs de la presse et le manque de volonté des autorités pour juger les auteurs des attaques contre les journalistes, elle tance aussi les médias locaux, incapables de protéger suffisamment leurs propres reporters.