Le dictateur Kim Jong-un qui impose sa singulière coupe de cheveux à tous les hommes du pays? La nouvelle a fait le tour du globe cette semaine, mais sa véracité est contestée. Vrai? Pas vrai? Le seul fait qu'on en débatte en dit long sur l'opacité du régime nord-coréen... et sur le niveau de contrôle qu'il impose à ses citoyens.

La nouvelle a été présentée comme vraie par la BBC et le Time. Le hic: les rares observateurs à être allés sur le terrain récemment n'ont pas observé le phénomène.

Benoit Hardy-Chartrand, chercheur à la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM, revient tout juste d'un séjour de cinq jours en Corée du Nord. Raison officielle: accompagner une délégation sportive. Dans les faits, le chercheur est allé documenter l'état du pays.

«Je ne me souviens pas d'avoir vu un seul homme portant la coupe de cheveux de Kim Jong-un, malgré le fait que cette mesure ait été apparemment mise en place il y a quelques semaines», a-t-il dit à La Presse depuis Tokyo.

Les agences de presse ont rapporté des observations semblables et ont conclu que l'affaire est un canular.

Prudent, M. Hardy-Chartrand juge toutefois qu'il n'est pas complètement loufoque de penser que le dictateur ait pu vouloir imposer son style capillaire à toute une population.

«Cette nouvelle demeure crédible. Le régime a toujours tenté de contrôler, avec plus ou moins de succès selon les époques et les mesures imposées, l'habillement et l'apparence générale des hommes et des femmes nord-coréens», dit-il. «Comme toujours en Corée du Nord, on spécule», commente aussi Gérard Hervouet, spécialiste de l'Asie à l'Université Laval. L'expert rappelle que, sous la Chine de Mao, les styles de coiffure étaient aussi dictés par les dirigeants.

«Je ne suis pas étonné par toutes ces choses qui ont l'air farfelues, mais qui peuvent être vraies. De tout temps, les coupes de cheveux qui s'éloignent des normes sont perçues comme un signe de dissidence», rappelle-t-il.

L'an dernier, des médias chinois avaient publié des photos présentées comme une liste de 28 coiffures «socialistes» - 18 pour les femmes et 10 pour les hommes - parmi lesquelles les citoyens nord-coréens devaient choisir. Or, selon l'Associated Press, ces photos sont simplement affichées dans les salons pour permettre aux clients d'expliquer ce qu'ils attendent du coiffeur.

Un contrôle extrême

Si les experts et les grands médias ont cru à une telle nouvelle, c'est que le régime nord-coréen n'en est pas à une excentricité près et qu'il exerce bel et bien un contrôle maniaque sur ses citoyens.

L'ONU l'a rappelé il y a un mois dans un rapport accablant qui comparait les crimes commis par la dictature asiatique à ceux du régime nazi.

«Le régime de Kim Jong-un tente de se donner depuis quelques mois une image plus positive, notamment dans son changement de ton avec la Corée du Sud. Mais il demeure extrêmement répressif et ne démontre aucune intention de relâcher le contrôle sur la population», analyse Benoit Hardy-Chartrand.

Selon des citoyens qui ont fait défection, la Corée du Nord possède bel et bien une «police de la mode» qui s'assure que les citoyens sont habillés au goût du régime. Les jeans, jupes courtes et vêtements arborant des mots anglais, notamment, sont interdits.

Il est aussi vrai qu'en 2005, le régime a interdit les cheveux longs pour les hommes, les qualifiant «d'antihygiéniques et antisocialistes».

Selon Benoit Hardy-Chartrand, le régime nord-coréen a cependant de plus en plus de difficulté à imposer ses vues aux citoyens.

«Ceux qui sont chargés de les appliquer sont toujours prêts à accepter des pots-de-vin pour ignorer une entorse aux règles», explique le chercheur.

Un rappel du grand-père

Gérard Hervouet rappelle que, malgré ses apparences, la coupe de cheveux de Kim Jong-un n'est pas une excentricité aléatoire: elle est calquée sur celle de son grand-père, Kim Il-sung, encore vénéré par la population 20 ans après sa mort.

«Kim Jong-un, qui a un déficit de crédibilité, fait tout pour rappeler son grand-père», souligne l'expert. D'autres spécialistes croient que le dictateur a adopté un tel style dans le but de paraître plus grand.