La Cour constitutionnelle de Thaïlande a invalidé vendredi les législatives du 2 février, poussant davantage encore le gouvernement dans l'impasse, au moment où la pression de la rue s'était relâchée.

Les juges de la Cour constitutionnelle, qui ont pris cette décision par six voix contre trois, se sont notamment fondés sur le fait que le vote n'a pu être organisé dans 28 circonscriptions. Les candidats avaient été empêchés de s'enregistrer par les manifestants antigouvernementaux.

C'est un nouveau coup dur pour la première ministre Yingluck Shinawatra, qui avait dissout le Parlement et proposé ces législatives pour sortir d'une crise qui a fait 23 morts.  

C'est aussi peut-être l'occasion de sortir de l'impasse, si l'opposition accepte des élections. Mais jusqu'ici, la première ministre refuse de quitter son poste tant que le Parlement n'aura pu être formé, et les manifestants refusent toute discussion.

Le Parti démocrate, principale formation d'opposition, n'a pas dit vendredi si, après avoir boycotté les élections du 2 février, il prendrait part à cet éventuel nouveau scrutin, avec les compteurs remis à zéro.

«Si nous pouvons discuter avec le gouvernement afin d'assurer que les élections se déroulent dans la paix, sans manifestations et soient acceptables pour tous, alors les démocrates en tant que parti politique sont prêts à participer au scrutin», a néanmoins déclaré Chavanond Intarakomalyasut, porte-parole du Parti démocrate, qui avait déjà tenté, en vain, de faire invalider le scrutin.

Mais les manifestants, bien que peu nombreux désormais à camper encore dans un parc de Bangkok, ont menacé d'empêcher tout nouveau vote.

«Le peuple n'acceptera pas d'élections», a tranché dès jeudi soir Suthep Thaugsuban, lors de son allocution quotidienne sur scène.

La plus probable sortie de crise, selon les analystes? Une chute du gouvernement suite à une décision judiciaire, un «coup d'État judiciaire» comme l'appellent les médias en Thaïlande, les manifestations s'étant essoufflées.

Le recours a déjà été utilisé contre les partis de Thaksin Shinawatra, le frère de Yingluck, renversé par un coup d'État en 2006.

Yingluck et des centaines d'élus pro-gouvernement sont déjà sous le coup de procédures judiciaires tous azimuts.

Le parti Puea Thai au pouvoir a dénoncé une décision de la Cour qui montre qu'elle essaie d'«écrire sa propre Constitution et de retirer au peuple sa souveraineté».

Pour David Streckfuss, universitaire spécialiste de la Thaïlande, avec cette invalidation, la Cour Constitutionnelle «montre clairement qu'elle s'aligne sur l'agenda des groupes antigouvernementaux», soutenus par les élites de la capitale - y compris les élites judiciaires -, base de l'électorat du Parti démocrate.

Agenda judiciaire

La prochaine échéance sur cet «agenda» serait, selon M. Streckfuss, l'élection du Sénat, le 30 mars, à laquelle les manifestants ne s'opposent pas.

Et pour cause : cette chambre, pour moitié nommée, pour moitié élue, aura pour mission de «légitimer un premier ministre neutre», qui succèdera à Yingluck, quand celle-ci sera finalement contrainte de démissionner, estime M. Streckfuss, dénonçant «un jeu dangereux» et non démocratique.

Le président du Sénat, Nikom Wairatpanij, pro-pouvoir, a ainsi été suspendu jeudi par la commission anticorruption (NACC) et pourrait être interdit de politique.

Pour l'heure, le gouvernement continue à expédier les affaires courantes, en l'absence de nouveau Parlement.

Suthep, le meneur des manifestants, continue à réclamer l'instauration d'un Conseil du peuple, non élu, pour succéder au gouvernement de Yingluck.

Et la menace d'affrontements violents entre pro et anti-gouvernement plane, dans une société profondément clivée entre pro et anti-Thaksin.

Avec du côté de Thaksin, les masses défavorisées du nord et du nord-est du pays démographiquement majoritaire. Et de l'autre, les élites de Bangkok et le Parti démocrate, qui n'ont pas remporté d'élections générales en 20 ans.

«Leur but, c'est de mettre la pression de toutes les façons qu'ils le peuvent pour faire nommer un premier ministre neutre», analyse lui aussi Jatuporn Prompan, meneur des «Chemises rouges» pro-Thaksin, menaçant de descendre alors dans la rue.