L'industrie nucléaire japonaise vient de connaître un nouveau revers. Un ancien premier ministre, Morihiro Hosokawa, vient de sauter dans la course au gouvernorat de la ville de Tokyo sur une plateforme antinucléaire. S'il est élu, il promet que Tokyo, qui abrite le quart de la population du pays, cessera d'acheter de l'électricité nucléaire. La Presse s'est entretenue avec David Pilling, éditeur pour l'Asie du Financial Times, qui publiera à la fin de l'hiver le livre Bending Adversity, qui décrit les changements «invisibles» qui permettront au Japon de sortir de deux décennies de stagnation économique et démographique.

Nucléaire

Aucune des 50 centrales nucléaires japonaises ne fonctionne en ce moment, à cause des inspections rendues nécessaires par le tsunami et le grave accident à la centrale de Fukushima en mars 2011. Le gouvernement de Shinzo Abe, dans le cadre de son plan de relance économique, tient à relancer le nucléaire, qui fournit normalement le tiers de l'électricité de l'archipel. Morihiro Hosokawa mise sur le pouvoir d'achat des 38 millions de Tokyoïtes, dont 79% désirent la fermeture définitive des centrales selon un sondage du quotidien Asahi Shimbun, pour influencer le débat. «Les gens dévissent littéralement une ampoule sur deux et utilisent moins la climatisation, dit David Pilling. Des investissements énormes sont faits en géothermie et dans les hydrates de méthane. En même temps, on peut raisonnablement penser qu'un compromis pourrait être trouvé pour conserver la vingtaine ou trentaine des centrales les plus sûres.»

Potier

Morihiro Hosokawa est un électron libre dans la politique japonaise. Entre 1955 et 1993, le Japon a été gouverné par un seul parti, le Parti libéral démocratique (PLD). Hosokawa, longtemps membre du PLD, a formé le premier gouvernement non PLD, à la tête d'une coalition de huit partis, en 1993-1994. «Le gouvernement est tombé abruptement à cause d'un scandale de corruption et le PLD est retourné au pouvoir jusqu'en 2009, dit David Pilling. Hosokawa est devenu un potier de très haut niveau et a gardé un statut mythique pour l'opposition. Il s'est aussi allié avec l'autre iconoclaste de la politique japonaise, Junichiro Koizumi [premier ministre de 2001 à 2006], qui faisait partie du PLD, mais a tenté de faire des réformes. On peut placer Hosokawa à gauche à cause du nucléaire et pour ses excuses aux victimes du Japon impérial, mais sur le plan économique, il a réduit les impôts en 1993-1994.»

Chine

Jusqu'en décembre, Tokyo était contrôlé par la droite dure. Le gouverneur était Naoki Inose, l'ancien bras droit de Shintaro Ishihara, qui avait causé une crise avec la Chine en 2012 en tentant d'acheter les îles Senkaku, revendiquées par l'empire du Milieu sous le nom de Diaoyu. Ishihara, surnommé le «Le Pen japonais» par la presse australienne à cause de ses commentaires racistes sur les immigrants africains, avait laissé son poste à Inose pour créer un parti d'extrême droite national. Son relatif succès aux législatives (12%) a légitimé le populisme de droite, forcé le gouvernement de Shinzo Abe à maintenir une ligne dure sur les Senkaku face à la Chine, qui y a, à plusieurs reprises, envoyé des navires et des avions de guerre, dit David Pilling. Abe a aussi annoncé son intention de «réviser» les excuses formelles présentées par la Chine aux pays qu'elle a envahis durant la Seconde Guerre mondiale et de modifier la Constitution pacifiste japonaise pour permettre au Japon de venir en aide aux États-Unis si ces derniers étaient militairement provoqués par la Chine. Par contraste, le premier discours de Morihiro Hosokawa quand il était premier ministre, en 1993-1994, comportait des excuses aux victimes nippones de la guerre.

Sanctuaire

Le sanctuaire de Yasukuni, à Tokyo, abrite les âmes de 2,5 millions de soldats japonais morts au combat depuis 150 ans. Dont celles de 14 officiers reconnus coupables de crimes de guerre par les Alliés à la fin des années 40, dont les noms ont été ajoutés en secret par le grand-prêtre du sanctuaire en 1978. Avant 2001, le sanctuaire avait reçu la visite d'un premier ministre japonais à seulement deux reprises. Mais Junichiro Koizumi, premier ministre de 2001 à 2006, a pris l'habitude de s'y rendre chaque 15 août, anniversaire de la reddition nippone en 1945. Au grand dam des pays occupés par le Japon, au premier rang la Chine et les deux Corées. Or, Koizumi a publiquement donné son appui à la candidature de Morihiro Hosokawa. «Ça scelle l'alliance entre la gauche et la droite, dit David Pilling. Beaucoup de Japonais modérés, même de gauche, vont à Yasukuni pour honorer leurs ancêtres. Que des criminels de guerre s'y trouvent ne les dérange pas tellement. Je ne pense pas que Hosokawa y ira, cela dit, même si l'ancien gouverneur Ishihara a affirmé que les chefs d'État japonais qui n'y vont pas ne sont pas vraiment japonais.» Shinzo Abe, lui, a visité le sanctuaire à la fin du mois de décembre.