Moment charnière de l'histoire du Pakistan ou inoffensif psychodrame politique joué d'avance? Le procès pour «haute trahison» de l'ex-président Pervez Musharraf divise le pays toujours ballotté par la rivalité entre pouvoir civil et armée.

L'affaire fait depuis un mois et demi la une des médias, à commencer par les télévisions, inondées de bandeaux fulgurants annonçant avec gourmandise ses rebondissements, ensuite débattus à l'envi dans les populaires émissions-débats du soir.

Elle avait commencé par un coup de tonnerre le 17 novembre, lorsque le ministre de l'Intérieur, Chaudhry Nisar, avait convoqué la presse un dimanche pour annoncer que Pervez Musharraf - au pouvoir de son coup d'État en 1999 à sa chute à l'été 2008 - allait être jugé par un tribunal d'exception pour «haute trahison».

Une accusation gravissime, passible de la peine de mort, encourue pour avoir suspendu la Constitution et promulgué l'état d'urgence en 2007, lorsqu'il était de plus en plus contesté.

Sur le papier, l'enjeu est de taille: la suprématie du pouvoir entre un gouvernement civil et une armée toujours puissante, qui a gouverné le pays plus de la moitié du temps depuis son indépendance en 1947, avec trois coups d'État militaires à la clé.

«Il y a un désir fondamental du pouvoir civil de pouvoir imputer (certains faits à) l'armée. Ce procès est donc très symbolique car vous avez ici un homme qui n'a pas violé la Constitution une fois, mais deux», en incluant son coup d'État, souligne Raza Rumi, directeur de l'Institut Jinnah, un centre de réflexion progressiste.

«Épée de Damoclès»

«Ce procès est une épée de Damoclès sur la tête de l'armée qui ne peut laisser son ancien chef être jugé pour trahison, voire puni, car cela mettrait fin à son hégémonie. Nawaz Sharif le sait bien, c'est un politique intelligent, il veut s'en servir comme d'une menace pour garder son autorité sur les militaires», estime M. Rumi.

Revenu en mars dernier de quatre années d'exil, l'ancien général avait été rapidement rattrapé par la justice, notamment pour le meurtre de son ex-rivale Benazir Bhutto et le renvoi de juges en 2007. Assigné à résidence, il lui est interdit de participer aux élections de mai qui, ironiquement, ramènent au pouvoir l'homme qu'il avait renversé en 1999, Nawaz Sharif.

Mais il est finalement libéré en novembre, même s'il n'a pas le droit de quitter le pays. Quelques jours plus tard, au moment où le pays est encore sous le choc de violences entre chiites et sunnites qui ont fait une quinzaine de morts, le gouvernement dégaine la carte de la «haute trahison».

Contrairement aux affaires précédentes, celle-ci crée un précédent pour l'armée et des «perturbations» chez les officiers intermédiaires qui vivent mal le fait de voir leur ancien patron sur cette sellette, soulignent de nombreux analystes.

«L'armée ne veut pas le voir à ce tribunal spécial..., car cela voudrait dire que tous les chefs de l'armée pourraient faire face à la justice», résume la spécialiste de l'armée pakistanaise, Ayesha Siddiqa.

À la veille de deux audiences, les forces pakistanaises annoncent avoir retrouvé des explosifs, étrangement non reliés à des détonateurs, près de la résidence de M. Musharraf. Ses avocats invoquent immédiatement des menaces à sa sécurité pour justifier son absence en cour.

La semaine dernière, il s'y rend finalement et l'ancien président est victime d'un malaise cardiaque. Un hôpital militaire diagnostique une maladie coronarienne, que ses avocats mettent en avant pour réclamer à la justice le départ à l'étranger de leur client pour suivre un traitement.

Ces contretemps alimentent les doutes des observateurs sur le fait que l'affaire ira à son terme.

«L'armée a protégé Musharraf, le protège et va le protéger non pas parce que les généraux l'aiment, mais parce qu'il s'agit d'un code de conduite», estime Ayesha Siddiqa.

Celle-ci voit le procès Musharraf comme une «diversion» orchestrée par le gouvernement pour faire oublier son impuissance à endiguer une insécurité et crise énergétique persistantes, et qui connaît les lignes à ne pas franchir pour ne pas brusquer une armée toujours très puissante, même s'il semble jouer la ligne dure.

Le gouvernement comme l'armée devra un jour s'accorder sur une sortie à cette crise qui leur évite à chacun de perdre la face, notent nombre d'observateurs.

«C'est un dilemme pour le gouvernement. Doit-il juger (Musharraf) jusqu'au bout ou le laisser partir? La décision finale n'est pas encore prise», estime le général à la retraite, Talat Masood.