Une nouvelle loi sur la protection des secrets d'État adoptée vendredi par le Parlement japonais a été condamnée samedi et dimanche par la presse et un groupe d'universitaires, dont deux Prix Nobel, comme étant la plus grande menace pour la démocratie au Japon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

«Sur le processus d'adoption comme sur le fond, nous devons retenir ce jour comme celui où la démocratie a été saccagée», a écrit le quotidien grand public de gauche Mainichi Shimbun.

Le Parlement japonais a adopté vendredi, selon une procédure d'une exceptionnelle rapidité, un texte qui étend la possibilité pour le gouvernement de classer «secrets d'État» toute information jugée sensible relative à la défense, la diplomatie, le contre-espionnage et la lutte antiterroriste. Cependant, les critères restent imprécis et les modalités de contrôle extérieur encore indéfinies.

La nouvelle loi instaure des peines allant jusqu'à 10 ans de prison pour les fonctionnaires qui révèleraient des données classées et jusqu'à cinq ans pour ceux qui encourageraient les fuites.

«On n'a pas besoin de cette loi», a renchéri sur un ton encore plus excédé l'Asahi Shimbun, également de gauche.

Et ce quotidien d'ajouter: «les citoyens n'ont plus qu'à se forger leur propre opinion et à élever la voix» pour défendre leur droit d'être informés.

Même la presse de droite, qui soutient pourtant la nécessité de légiférer pour protéger les données sensibles et obtenir des renseignements plus facilement de la part de pays alliés (États-Unis en tête), dit être inquiète par le flou qui entoure le contrôle des informations «secrètes» et par les risques pour la liberté d'expression et l'information de la population.

«Le gouvernement doit soigneusement expliquer le sens de cette loi pour qu'elle soit comprise», écrit notamment le Yomiuri Shimbun qui reconnaît qu'il existe un danger de camouflage excessif d'informations sous prétexte de protection de secrets d'État.

Enfin plusieurs journaux rappellent que la loi ne sera pas appliquée immédiatement (elle a un an pour entrer en vigueur) et que le gouvernement comme l'opposition doivent profiter de ce laps de temps pour en améliorer le cadre et le fond afin qu'elle préserve les droits fondamentaux consubstantiels à la démocratie.

L'appel des très influents médias rejoint celui d'un groupe de 31 universitaires, dont deux lauréats du Prix Nobel, Toshihide Maskawa (physique, 2008) et Hideki Shirakawa (chimie, 2000), qui ont accusé le gouvernement japonais de menacer «les droits fondamentaux de l'homme et les principes pacifistes» établis par la Constitution du Japon.

Lors des discussions qui ont précédé l'adoption de la loi, une forte opposition s'était déjà manifestée non seulement dans les médias, mais aussi dans les milieux artistiques, juridiques et scientifiques ainsi que parmi des associations de simples citoyens.

Le groupe de 31 universitaires de haut rang, qui a obtenu par la suite l'appui de 3.150 autres, selon l'agence de presse Kyodo, juge que le comportement du gouvernement conservateur de Shinzo Abe «rappelle celui des autorités d'avant-guerre, qui avaient supprimé la liberté de penser et la liberté de la presse».

Ils craignent qu'un État qui agit déjà à huis clos ne s'enferme davantage dans la culture du secret.

Près de 270 personnalités du cinéma (dont les réalisateurs d'animation Hayao Miyazaki et Isao Takahata), des chercheurs, des avocats et autres personnalités influentes se sont aussi mobilisées, certes un peu tard, pour essayer d'empêcher l'adoption de cette loi qu'ils jugent «liberticide, antidémocratique et dangereuse». Des manifestations ont eu lieu tous les jours cette semaine à Tokyo contre ce texte qui a finalement été adopté en urgence dans le délai voulu par le premier ministre Shinzo Abe.

Ce dernier profite du fait que la coalition gouvernementale qu'il conduit contrôle la majorité tant à la chambre basse qu'au Sénat: «il n'y a plus de frein. C'est un chemin dangereux», conclut l'Asahi Shimbun.