Les manifestants thaïlandais qui réclament par milliers le départ du gouvernement ont coupé jeudi l'électricité au siège de la police, en plein Bangkok, refusant toute négociation après un mois dans la rue.

«Nous fonctionnons sur générateur», a expliqué à l'AFP un responsable de la police, Prawut Thavornsiri, alors qu'un millier de manifestants bloquait la grande artère où se trouve le quartier général de la police nationale.

Ce sabotage est intervenu alors que la première ministre Yingluck Shinawatra venait d'appeler les manifestants à négocier, lors d'une adresse télévisée.

«Je propose aux manifestants d'arrêter de manifester et de quitter les bâtiments officiels», a déclaré Yingluck, appelant à «trouver une solution».

«On ne peut pas lui faire confiance», a répondu Akanat Promphan, un porte-parole des manifestants, peu enclins à renoncer aux occupations, concentrées sur deux sites, le ministère des Finances et un complexe rassemblant plusieurs ministères comme celui de la Justice.

La colère des manifestants a été provoquée par un projet de loi d'amnistie selon eux taillé sur mesure pour permettre le retour du frère de Yingluck, Thaksin Shinawatra, premier ministre chassé par un coup d'État en 2006 qui reste au coeur de la politique du royaume malgré son exil.

Malgré le rejet du texte par le Sénat, les manifestants, groupes hétéroclites rassemblés par leur haine de Thaksin, n'ont pas désarmé et exigent désormais la tête de Yingluck, qu'ils considèrent comme une marionnette de son frère, et la fin du «système Thaksin», qu'ils associent à une corruption généralisée.

Des accusations reprises par le Parti démocrate, qui n'a pas gagné d'élections en près de 20 ans, dans une motion de censure contre Yingluck à laquelle la première ministre a sans surprise échappé jeudi dans un Parlement où son parti, le Puea Thai, est majoritaire.

Après des semaines de mobilisation, les manifestants ne donnent pas de signe de vouloir renoncer à la lutte.

Une pause pourrait néanmoins avoir lieu à l'approche de l'anniversaire du roi Bhumibol, le 5 décembre, un évènement très important en Thaïlande, où le roi est vénéré.

D'ici là, certains craignent des débordements dans une capitale habituée aux violences politiques ces dernières années.

L'ONU inquiète

Ces manifestations sont les plus importantes depuis le printemps 2010. Jusqu'à 100 000 «chemises rouges» fidèles à Thaksin avaient alors occupé le centre de Bangkok pour réclamer la chute du gouvernement démocrate de l'époque, avant un assaut de l'armée.

La crise, la plus grave qu'ait connue la Thaïlande moderne, avait fait quelque 90 morts et 1900 blessés.

Elle avait également exposé en pleine lumière les profondes divisions de la société thaïlandaise entre masses rurales et urbaines défavorisées du nord et du nord-est du pays, représentées par les «rouges», et les élites de la capitale gravitant autour du palais royal qui le voient comme une menace pour la monarchie.

Plusieurs milliers de «rouges» sont rassemblés depuis dimanche dans un stade de Bangkok en soutien au gouvernement. Et ils annoncent une grande manifestation, au même endroit, pour samedi.

Du côté de l'opposition, les manifestants s'étaient rassemblés également mercredi autour de quelque 25 sièges d'administrations provinciales, en particulier dans le sud du pays, bastion des démocrates.

Et les manifestants ont marché jeudi notamment vers les ministères de la Défense et de l'Éducation. Le principal meneur des manifestants, l'ex-vice-premier ministre Suthep Thaugsuban, poursuivi pour meurtre pour son rôle dans la répression de 2010, était lui toujours dans un complexe gouvernemental au nord de la ville.

Cette figure du Parti démocrate a appelé ces derniers jours à la création d'un «conseil du peuple», non élu, pour diriger le pays, exprimant ainsi pour la première fois de façon relativement claire que la volonté des manifestants est de se débarrasser du système démocratique, dans un pays qui a connu 18 coups d'État ou tentatives depuis l'établissement de la monarchie constitutionnelle en 1932.

Un mandat d'arrêt a été lancé contre lui pour l'occupation du ministère des Finances, mais les autorités ont indiqué que la police n'irait pas l'arrêter au milieu des manifestants.

Ce nouveau mouvement de rue a provoqué l'inquiétude de la communauté internationale. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon s'est ainsi dit mercredi «inquiet de la montée des tensions politiques à Bangkok».