L'aide continue d'arriver au compte-gouttes et le bilan des morts ne cesse de s'aggraver. Mais une semaine après le passage du typhon Haiyan, quelque chose a changé dans le champ de ruines qu'est devenue la ville de Tacloban: des dizaines de drapeaux philippins ont été hissés au milieu des décombres. Comme pour proclamer au monde entier que, malgré tout, le pays ne se laissera pas abattre.

Au départ uniquement remplies de soldats et de sinistrés hébétés en quête de nourriture, les rues étaient envahies vendredi par des citoyens désireux de mettre la main à la pâte, libérant un tronçon de rue, brûlant les carcasses d'animaux morts et érigeant des abris de fortune. L'administration municipale a aussi retrouvé plusieurs employés qui sont revenus en poste, facilitant un peu les services à la population, explique une gestionnaire municipale.

«Au départ, plusieurs d'entre nous étaient des victimes de la calamité. Je n'ai plus de maison, mais ma famille est vivante. Il y a tant de gens moins fortunés que nous, nous leur offrons notre aide. Aujourd'hui, nous venons même de commencer un peu de ramassage d'ordures», explique Evelyn Cordero.

Les représentants de l'ONU et des ONG sont beaucoup plus nombreux sur le terrain. L'aéroport est devenu une tour de Babel où convergent les gens venus des quatre coins du globe prêter main-forte aux sinistrés.

Comme le médecin volontaire hongrois Sari Ferenc, qui, au milieu du vrombissement assourdissant des moteurs d'avions, berce délicatement un minuscule bébé. Le petit Tim Lance Labada est né il y a 16 jours. Il souffre de problèmes cardiaques, si bien qu'il était hospitalisé lorsque le typhon a détruit la maison de ses parents. Privé de tout, forcé de répondre aux innombrables urgences, l'établissement n'arrivait plus à le traiter adéquatement.

«Il doit recevoir les soins appropriés. Nous l'emmenons à Manille», explique le costaud médecin à la barbe fournie. Autour, des soldats américains courent dans tous les sens pour lui trouver une place à bord d'un avion ou d'un hélicoptère.

La mère du bébé, Judita Labada, a laissé son autre enfant et son mari dans ce qu'il reste de leur demeure. Elle n'a personne chez qui loger dans la capitale. «Nous allons rester à l'hôpital», dit-elle d'un ton rassurant, comme si elle refusait qu'on s'inquiète pour elle. Tout au long de son attente au bord de la piste, elle refusera la nourriture et les friandises que lui offriront plusieurs personnes.

Le Programme alimentaire mondial de l'ONU a déjà distribué de gigantesques quantités de riz et de biscuits à haute teneur calorique, en tentant d'atteindre aussi les communautés reculées. La tâche est titanesque et les représentants de l'organisme sont au bord du surmenage. «Les gars au bureau sont crevés, ça fait cinq jours qu'ils dorment sur leur bureau, il n'y a pas de toilettes, peu de nourriture», a résumé un des gestionnaires rencontrés sur place.

Un bateau sur le boulevard

Si la nourriture se fait rare, il y a aussi une ville entière à déblayer et, à terme, à reconstruire. Sur la route de l'aéroport, un camion et une voiture soulevés par le typhon sont encore juchés dans des arbres. Près de l'hôtel de ville, un bateau de la police échoué traîne au beau milieu d'un des plus grands boulevards.

De petits camps de réfugiés ont été installés dans une église, un centre des congrès, à l'aéroport. Des familles campent dans la boue et les déchets que fouillent des chiens errants. La plupart des gens manquent de place pour s'abriter du soleil brûlant qui succède à la pluie. Ils en sont souvent réduits à faire leurs besoins à l'extérieur.

Les cadavres, eux, continuent de s'accumuler. «Ils nous en ont déjà apporté 25 ce matin», affirme Joseph David, policier chargé de la morgue de transit, en désignant les dépouilles enveloppées dans leur sac. Les morts sont enterrés dans une fosse commune au cimetière. L'odeur que dégagent certains amas de débris en ville ne trompe pas: d'autres seront découverts sous peu.

Malgré quelques progrès, la situation décourage plusieurs résidants. Le vendeur de cigarettes Adrian Go a envoyé sa famille à Manille, en promettant de reconstruire la maison d'ici leur retour. Une fois seul chez lui, il s'est mis à réfléchir à la catastrophe qui s'est abattue sur sa ville. Et il a fondu en larmes.

«Ce typhon n'était pas un typhon ordinaire, dit-il. Je me demande juste pourquoi. Pourquoi était-il tellement plus fort?»

Étancher la soif des survivants

Les Québécois de L'Oeuvre Léger ont causé l'étonnement chez les secouristes, cette semaine, lorsqu'ils sont débarqués à Tacloban avec du matériel ultraperformant d'assainissement de l'eau destiné aux survivants assoiffés du typhon.

«On avait une unité d'assainissement avec nous dans l'avion et on en a deux qui arrivent par convoi routier. Il nous faut une source d'eau. N'importe laquelle, tant qu'elle n'est pas salée. Ça peut être un lac où les gens faisaient leurs besoins ou une piscine. Et on peut pomper de 40 à 60 litres par minute. La coordonnatrice de l'ONU ne me croyait pas. Ici, ils ont fait wow!», raconte Norman MacIsaac, directeur général de l'organisme fondé il y a une soixantaine d'années par le cardinal Paul-Émile Léger.

L'Oeuvre Léger et son partenaire ontarien Globalmedics ont envoyé cinq Canadiens à Tacloban. Ils pourront compter sur une trentaine de bénévoles grâce à l'aide de partenaires locaux. Mais pour l'instant, ils manquent de carburant pour faire fonctionner leur machinerie.

Ils ne chôment pas pour autant. Norman MacIsaac s'active frénétiquement sous la tente de l'ONU. Il pointe des villages sur la carte de la région affichée au mur. Il est à la fois constamment sollicité et constamment à la recherche de quelqu'un, dans le capharnaüm ambiant: un représentant d'ONG spécialisée en acheminement du carburant, un cadre de l'ONU, un contact local en lien avec le gouvernement.

Une dévastation sans pareille

Tacloban a confiance de pouvoir réactiver sous peu son système d'aqueduc, ce qui n'est pas le cas de plusieurs villages sinistrés. L'ONG québécoise sera donc active dans les localités de Tolosa, Tanauan, Palo et Santa Fe. Deux autres de ses équipes sont en route, l'une pour Iloilo et l'autre pour Cebu, des villes situées sur d'autres îles philippines touchées par le typhon.

Les Canadiens s'y sont déjà rendus avec une escorte militaire pour évaluer les sites. L'insécurité ambiante et les pillages qui sévissaient dans la région les ont toutefois ralentis à leur arrivée. «Si on se fait voler nos équipements, tout cela sera en vain. On collabore avec la police et l'armée pour assurer la sécurité de la distribution», explique M. MacIsaac, qui a confiance d'être opérationnel d'ici trois jours.

Pourtant habitué aux situations de crise, il dit n'avoir jamais rien vu de comparable à la dévastation semée par Haiyan.

«Une telle ampleur, je n'ai jamais vu ça. J'ai vu des dommages comme ça, mais pas avec une telle étendue. Il n'y a presque plus d'édifices! Et la capacité du gouvernement local a été sévèrement affaiblie. Il peut arriver qu'on soit en réunion avec un responsable ici et qu'il doive nous quitter pour aller enterrer sa mère», dit-il.

Déploiement canadien dans l'île de Panay

Alors que plusieurs pays concentrent jusqu'ici leurs opérations de secours dans la région de Tacloban, une centaine de militaires canadiens de l'Équipe d'intervention en cas de catastrophe ont installé leur camp vendredi à Roxas, sur l'île de Panay, autre région des Philippines touchée par le typhon, où les sinistrés attendaient de l'aide.

Après avoir atterri dans la ville d'Iloilo avec un immense avion-cargo Globemaster III, l'avant-garde canadienne a poussé par la route jusqu'à sa destination. Une centaine de kilomètres qu'elle a mis trois heures à franchir.

«La région est difficile d'accès, car il y a beaucoup de débris qui bloquent la route», a commenté le lieutenant-colonel Walter Taylor, commandant de la mission, dans un entretien téléphonique avec La Presse quelques heures après son arrivée sur place.

«La population est très contente, on a déjà établi un contact positif», constate-t-il après plusieurs rencontres dans la ville côtière de 150 000 habitants.

C'est le gouvernement philippin qui a demandé au gouvernement canadien de déployer ses troupes dans l'île de Panay, où les besoins sont grands.

«On a une grande population sans accès à l'eau potable et les maladies risquent de se propager ici», constate le lieutenant-colonel Taylor. Il se dit notamment impressionné par le nombre de déplacés qu'a faits le typhon.

Une équipe médicale de l'armée canadienne doit passer la journée de samedi à évaluer les besoins des sinistrés et à coordonner les efforts avec les autorités locales et les ONG. Le rôle des Canadiens n'est pas de distribuer les vivres aux sinistrés ni de reconstruire la ville, mais bien de faciliter toute la logistique des opérations de secours. Ils installeront aussi une unité de purification de l'eau.

«Demain, notre machinerie lourde devrait être ici et nous allons pouvoir commencer à déblayer la route. Nous avons aussi un nouvel avion qui va arriver aux Philippines. Nous allons pouvoir en faire de plus en plus chaque jour», assure le lieutenant-colonel.