Han Dongfang occupe un métier controversé en Chine : militants pour les droits des travailleurs. Arrêté durant le soulèvement de la place Tiananmen, en 1989, il a passé près de deux ans en prison pour avoir fondé le premier syndicat indépendant de Chine. Relâché après avoir contracté la tuberculose, il a été déporté à Hong Kong, où il a mis sur pied le China Labour Bulletin, une organisation qui aide depuis 20 ans les travailleurs chinois à faire valoir leurs droits et à demander de meilleures conditions de travail.

Sa biographie intitulée Mon combat pour les ouvriers chinois sera publiée en janvier 2014 aux Éditions Michel Lafon. La Presse l'a joint par téléphone.

Je suis surpris de voir, sur votre site internet, à quel point les grèves sont courantes en Chine. Médecins, chauffeurs de taxi, enseignants... De nouvelles grèves semblent éclater chaque jour.

C'est vrai, et c'est en augmentation. C'est lié aux changements économiques. Il y a 20 ans, 95 % des entreprises appartenaient à l'État. Tout le monde travaillait pour le gouvernement. Se plaindre était l'équivalent de critiquer le gouvernement, ce n'était pas toléré.

Aujourd'hui, 70 % de l'économie est entre les mains du secteur privé. Le gouvernement n'est plus sur les dents quand des travailleurs se plaignent de leurs conditions. Bien souvent, les travailleurs demandent au gouvernement d'intervenir pour rétablir l'équilibre.

Vous étiez là durant les manifestations de Tiananmen. Qu'est-ce que cela a représenté pour vous ?

Tiananmen a été un réveil pour les travailleurs. Ce n'était pas un mouvement coordonné. C'était injustice par-dessus injustice par-dessus injustice. Un jour, ça a débordé. Vous descendiez dans la rue, et tout d'un coup, vous réalisiez que des millions de personnes pensaient comme vous. Je courais dans la rue avec des milliers de personnes derrière moi, quand soudain, je me suis retourné et j'ai vu que les gens étaient partis. Dans ces moments-là, vous voyez la peur des gens. C'est une réalité. Moi aussi, j'avais peur. Ils m'ont jeté en prison. Tout ça m'a appris que nous devons demander un changement collectivement. Sinon, ils vont simplement arrêter les causeurs d'ennuis, et mettre un frein à tout ça.

Vous écrivez que l'émergence de l'internet a été bénéfique pour les droits des travailleurs chinois. C'est étonnant, car les Occidentaux voient souvent l'internet en Chine comme un outil censuré par Pékin.

Il y a de la censure, mais il y a aussi beaucoup de libertés. Avec l'émergence des réseaux sociaux comme Sina Weibo [NDLR : un site de microblogue semblable à Twitter], un débrayage d'enseignants dans un village éloigné de province peut être suivi en direct à Shanghai et à Pékin. Le flux d'information est crucial, car les gens ne vivent plus dans le noir, isolés. Ils réalisent que d'autres vivent les mêmes problèmes qu'eux. C'est stimulant de sentir qu'une masse critique est derrière nous.

Le gouvernement permet Weibo, car il leur permet d'avoir de l'information vraie sur ce qui se passe sur le terrain. Avec Weibo, le parti central peut prendre la vraie mesure d'un événement, sans passer par les autorités locales, qui peuvent exagérer le danger afin d'obtenir plus de ressources.

Durant votre carrière, avez-vous vu des changements tangibles dans la façon dont sont traités les travailleurs ?

Quand vous partez de rien, chaque changement est une victoire. Nous n'avons pas de justice, mais nous faisons des progrès. Par exemple, il arrive que des propriétaires d'usine soient trop endettés et disparaissent dans la nature, laissant les employés avec deux ou trois mois de salaire impayé. Avant, les employés qui portaient plainte étaient jetés en prison. Maintenant, le gouvernement va souvent reconnaître les droits des travailleurs, et payer deux tiers des salaires dus à même les coffres de l'État, tout en cherchant à arrêter le propriétaire fautif. Pour nous, ce changement est une victoire.

Aujourd'hui, vous recommandez aux Chinois de se battre devant les tribunaux plutôt que de descendre dans la rue...

Nous voulons nous battre à l'intérieur du système, avec les moyens qui existent. Combien de millions de personnes sont mortes au nom des idéologies, au nom du communisme ? Ça ne vaut pas le coup. Mon travail est d'améliorer le sort des gens, peu importe les moyens. Si cela fait bien paraître le gouvernement, eh bien! soit. Je suis intéressé par les résultats.

Quand nous avons commencé notre stratégie d'intenter des procès, en 2004, mes collègues n'étaient pas d'accord avec moi. Les gens riaient, et me disaient que j'étais fou. Tout le monde savait que les juges avaient trop peur de décevoir quelqu'un d'important pour oser donner raison à des travailleurs. Or, petit à petit, nous avons gagné des causes, et établi des précédents. Aujourd'hui, nous réalisons que le pouvoir judiciaire n'est pas la même chose que le pouvoir politique. C'est permis de se plaindre, ce n'est plus vu comme un affront au gouvernement.

Désormais, nous gagnons 70 % de nos causes. Nous avons eu des résultats concrets pour des violations des normes du travail. Les gens qui demandent de meilleures conditions sont vulnérables, mais c'est inévitable. Et si nous ne le faisons pas, personne ne le fera pour nous.

Répressions des médias en 2013 en Chine

0 Journalistes tués ou collaborateurs tués

29 Journalistes emprisonnés

70 Usagers de l'internet emprisonnés

Source : Reporters sans frontières

Répression en Chine: les confessions télévisées, nouvelle arme

La tête rasée comme un bagnard, les mains menottées, le regard contrit, le journaliste avoue ses crimes dans une vidéo diffusée à la télé nationale.

Flanqué de deux policiers, Chen Yongzhou, 27 ans, a confessé avoir accepté des pots-de-vin et publié des articles sans les lire. La confession a surpris des collègues, qui ont dit que le journaliste vérifiait tout maladivement.

Chen a été arrêté le mois dernier, après avoir écrit une série d'articles dans le quotidien New Express sur la corruption d'une entreprise de construction proche du pouvoir. Les autorités étaient si pressées de diffuser la vidéo du journaliste sur la chaîne d'État CCTV qu'ils n'ont pas attendu le dépôt des accusations contre lui pour le faire.

Les confessions télévisées sont de plus en plus fréquentes en Chine, où le gouvernement les utilise pour «faire passer un message», explique Carl Minzner, professeur à l'École de droit de l'Université Fordham, à New York.

«Ça faisait très longtemps qu'on n'avait pas vu ça, dit-il. Essentiellement, le gouvernement dit : «Nous avons le droit de faire un exemple de vous «, avant qu'un juge ait décidé si les accusations étaient valables ou non.» Des gens du milieu des affaires ont été arrêtés et paradés de la sorte, dit-il, ce qui commence à inquiéter des entreprises qui ont des activités commerciales en Chine.

«Ça crée de l'incertitude», dit-il.

L'arrivée au pouvoir, il y a un an, du président chinois Xi Jinping laissait penser que le régime manifesterait un plus grand respect pour les droits de l'homme.

Les espoirs ont été de courte durée.

Depuis le mois d'août, plus de 450 arrestations politiques ont eu lieu en Chine, selon les groupes de défense des droits de l'homme. Parmi les personnes ciblées se trouvent des avocats, des journalistes et des universitaires.

«Il était illusoire de croire que la nomination d'un nouveau président pouvait changer en profondeur le gouvernement chinois», explique M. Minzner.

Blogueurs humiliés

Depuis peu, les autorités chinoises ciblent tout particulièrement les usagers qui comptent le plus d'abonnés sur le site de microblogage Sina Weibo, donc qui ont le plus d'influence.

«Ils ont récemment arrêté un usager très populaire de Weibo sous prétexte qu'il avait payé des prostituées, dit M. Minzner. Or, quand ils ont enregistré sa confession vidéo, l'homme reconnaissait avoir répandu des «rumeurs non fondées «sur l'internet. Il n'y avait pas de lien avec la prostitution. C'est devenu une forme d'humiliation publique, sans lien avec quelque sens de justice que ce soit.»

Photo tirée d'une vidéo de CCTV, Associated Press

Les confessions télévisées sont de plus en plus fréquentes en Chine, où le gouvernement les utilise pour « faire passer un message », explique Carl Minzner, professeur à l'École de droit de l'Université Fordham, à New York.

Hong Kong, terre d'accueil

Expulsé à Hong Kong en 1993, Han Dongfang profite des libertés offertes par l'île pour aider les travailleurs chinois du contient par l'entremise de son organisation, China Labour Bulletin.

«J'habite Hong Kong, et la vie est bonne ici. Je peux voyager. Je peux faire ce que je veux.»

Comme ses activités ne concernent pas Hong Kong, le gouvernement lui laisse carte blanche.

«Mon travail n'intéresse pas le gouvernement de l'île», dit-il.

Les médias de Hong Kong s'intéressent assez peu à la question des travailleurs chinois. Ils ont gardé leur indépendance qui datait d'avant le passage au régime chinois, en 1997, mais ils évitent certains dossiers épineux.

«Il n'y a pas de censure officielle, mais il y a beaucoup d'autocensure, dit Han. Les journaux de Hong Kong veulent percer l'immense marché du continent chinois. Pour ce faire, ils essaient d'éviter de décevoir les dirigeants du régime. Ils s'intéressent plutôt au monde des affaires. C'est une danse subtile.»

Un sondage publié cette semaine par le quotidien hong-kongais South China Morning Post semble montrer que cette opinion est répandue dans l'île. «Près de 50% des gens interrogés sont d'avis que les médias hongkongais pratiquent l'autocensure, et citent en exemple l'abondante couverture critique du gouvernement de l'île dans les médias, alors que les critiques envers Pékin sont rares», peut-on y lire.

Dans un numéro spécial pour célébrer son 110e anniversaire, cette semaine, le South China Morning Post a semblé offrir un exemple d'autocensure: un encart illustré retraçant les moments marquants des 110 dernières années à Hong Kong omettait l'année 1989, marquée par le massacre de la place Tiananmen.

En 1989, 1,5 million de personnes étaient descendues dans la rue à Hong Kong pour dénoncer la répression à Tiananmen, la plus grande manifestation de l'histoire de l'île. Depuis, une marche est organisée chaque année: en 2012, 85 000 personnes y ont participé.