Le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif a pressé mardi les États-Unis de cesser les attaques de drones, affirmant qu'il s'agissait d'une violation de la souveraineté de son pays.

Selon M. Sharif, qui s'exprimait lors d'une conférence à Washington à la veille d'une rencontre avec Barack Obama à la Maison-Blanche, ces attaques sont un obstacle «majeur» dans les relations entre les deux pays.

«Je voudrais en premier lieu insister sur la nécessité d'arrêter les attaques de drones», a déclaré M. Sharif lors d'un discours à l'Institut américain pour la paix.

Le premier ministre qui effectue une visite historique aux États-Unis a toutefois précisé qu'il voulait entretenir des relations chaleureuses avec Washington tombées au plus bas en mai 2011 dans la foulée du raid américain contre Oussama ben Laden.

Mais il a rappelé qu'une conférence inter-partis au Pakistan avait conclu que «l'usage de drones était non seulement une violation de la souveraineté» du pays, «mais qu'il se faisait aussi au détriment» des efforts pakistanais de lutte contre le terrorisme.

Un droit de tuer supérieur aux tribunaux

Les États-Unis doivent mettre fin au «secret» entourant leurs tirs meurtriers de drones au Pakistan et au Yémen et juger les responsables de frappes «illégales», ont plaidé mardi des organisations de défense des droits de l'homme.

La publication de rapports d'Amnistie internationale et de Human Rights Watch intervient à la veille de la rencontre entre Barack Obama et Nawaz Sharif, premier ministre du Pakistan, pays le plus visé par les tirs d'avions sans pilote américains suivi du Yémen.

Depuis 2004, entre 2000 et 4700 personnes, dont des centaines de civils, selon différentes évaluations, ont été tuées par plus de 300 tirs de drones américains dans les zones tribales du Nord-ouest pakistanais, principal bastion dans la région des talibans et d'autres groupes liés à Al-Qaïda situé à la lisière de l'Afghanistan.

Dans un rapport d'une soixantaine de pages, Amnistie Internationale appelle les États-Unis à rendre publiques les informations sur ces tirs pour savoir s'ils respectent le droit international, ce qui pourrait être le cas par exemple s'ils visent à neutraliser une menace imminente pour Washington.

«Le secret entourant le programme des drones donne au gouvernement américain un droit de tuer supérieur aux tribunaux et aux normes fondamentales du droit international», soutient dans un communiqué Mustafa Qadri, analyste pour Amnistie Internationale au Pakistan.

«Les autorités américaines doivent ouvrir leur programme de drones à un examen (public, NDLR) indépendant et impartial», ajoute l'organisation dans son rapport.

L'organisation revient ainsi sur une quarantaine de tirs de drones américains perpétrés depuis mi-2012 dans le nord-ouest du Pakistan, dont celui du 24 octobre 2012 qui a tué une femme de 68 ans, Mamana Bibi, dans un village du district tribal du Waziristan du Nord, principale cible des tirs de drones américains au Pakistan.

«Dans son enquête (sur ce tir), Amnistie Internationale n'a trouvé aucune preuve d'installations militaires ou de groupes armés, de caches ou de combattants», souligne le rapport, ce qui suggère «un échec catastrophique» des autorités américaines qui ont peut-être pris Mamana Bibi à tort pour un combattant.

À l'aune de cet exemple, Amnistie appelle Washington à traduire en justice les responsables d'attaques illégales - en notant au passage que même les tirs de drone tuant uniquement des insurgés peuvent constituer des «exécutions extrajudiciaires» - et à compenser les familles de victimes innocentes.

Le rapport se penche également, pour les dénoncer, sur les «attaques contre les secours» : lorsqu'un drone bombarde une deuxième fois la même zone alors que les proches des victimes du premier tir et des secouristes s'affairent sur place.

«Meurtres illégaux»

Amnistie critique également «l'ambiguïté» du Pakistan qui considère officiellement ces frappes comme des violations de sa souveraineté, mais juge en privé plusieurs d'entre elles «utiles» et «semble fournir» aux Américains des informations leur permettant de frapper certains combattants islamistes. L'organisation s'inquiète également de la «collusion» de l'Australie, de l'Allemagne et du Royaume-Uni qui «semblent fournir des renseignements et de l'aide» pour les tirs de drones américains.

Par ailleurs, une autre organisation de défense des droits de l'homme, Human Rights Watch (HRW), publie également mardi un long rapport sur les tirs de drones américains, mais cette fois-ci au Yémen, un des principaux bastions d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique.

Elle y documente plusieurs attaques meurtrières contre des civils, et juge également que les États-Unis doivent «expliquer les fondements juridiques de ces assassinats ciblés», «clarifier publiquement toutes les directives» sur ces attaques et traduire en justice les auteurs de «meurtres illégaux».

Lors d'une visite au Pakistan en août dernier, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon avait déclaré que les tirs de drones américains, gérés par la CIA, devaient respecter le droit international ou être arrêtés.

La Maison-Blanche réplique

Interrogé sur le rapport d'Amnistie, selon lequel «le secret entourant le programme des drones donne au gouvernement américain un droit de tuer supérieur aux tribunaux et aux normes fondamentales du droit international», le porte-parole de la Maison-Blanche a renvoyé vers un discours de M. Obama à ce sujet, le 23 mai dernier à Washington.

Le président «a dit clairement que les bombardements américains avaient fait des victimes civiles, un risque qui existe dans chaque guerre», a expliqué Jay Carney.

Ce dernier a répété la position de l'administration américaine selon laquelle «il existe une grande différence entre les évaluations américaines du nombre de telles victimes et les rapports des ONG».

«Nous ne sommes pas du tout d'accord sur l'idée que ces frappes violent la loi internationale», a ajouté M. Carney lors de son point de presse quotidien.

«L'administration a insisté sur les précautions extraordinaires prises pour faire en sorte que ces actions antiterroristes respectent toutes les lois applicables», a-t-il assuré.

«En définissant des actions visant ceux qui veulent nous tuer et pas ceux parmi lesquels ils se cachent, nous choisissons le type de mesure qui risque le moins d'aboutir à des pertes de vies innocentes. Les opérations antiterroristes américaines sont précises, elles sont légales et efficaces», a insisté M. Carney.