La dirigeante de l'opposition birmane Aung San Suu Kyi a enfin pu recevoir mardi à Strasbourg le prix Sakharov décerné en 1990 par les eurodéputés, qu'elle a appelés à aider la Birmanie sur la voie de réformes encore inachevées.

Mme Suu Kyi, une fleur jaune dans les cheveux, a été accueillie par les applaudissements nourris des eurodéputés avant de recevoir son prix des mains du président allemand du Parlement européen, Martin Schulz.

Libre de ses mouvements depuis seulement trois ans après quelque 15 années de résidence surveillée à Rangoun, elle n'avait pas encore pu recevoir personnellement cette récompense attribuée à des personnalités engagées en faveur des droits de l'homme.

«Vous avez lutté, vous avez souffert, mais l'essentiel c'est que vous ayez vaincu», a lancé M. Schulz, qui a salué «un grand exemple de liberté et de démocratie».

«Il faut faire preuve de pragmatisme : nous avons progressé depuis 1990, mais les progrès sont insuffisants», a estimé Mme Suu Kyi dans son discours. «J'espère que vous nous aiderez à libérer notre peuple de la peur, parce que cette peur existe encore».

La visite à Strasbourg de Mme Suu Kyi, 68 ans, s'inscrit dans le cadre d'une tournée en Europe pour convaincre les dirigeants européens de faire pression sur la Birmanie, notamment afin qu'elle modifie sa Constitution pour y introduire davantage de démocratie.

«Les gens commencent à apprendre à poser des questions : la liberté de pensée et de conscience sont des droits qui ne sont pas encore garantis à 100 %», a estimé Mme Suu Kyi, jugeant que la Constitution devait être révisée «pour permettre le plein épanouissement» de ces libertés.

«Vous avez beaucoup d'argent»

La Constitution birmane, rédigée par la junte aujourd'hui dissoute et adoptée par référendum, attribue notamment 25 % des sièges dans les assemblées aux militaires d'active.

Elle est également un obstacle majeur à l'ambition annoncée de Mme Suu Kyi de devenir présidente après les élections de 2015. Elle interdit en effet à un Birman marié à un étranger ou ayant des enfants étrangers d'accéder à la magistrature suprême. Or, son époux Michael Aris, aujourd'hui défunt, était de nationalité britannique. Leurs deux enfants sont Britanniques.

Aung San Suu Kyi a passé environ quinze années enfermée, avant d'être libérée juste après les élections controversées de novembre 2010. «Cela en valait la peine, honnêtement», a-t-elle dit en souriant devant la presse, en référence à ces épreuves, jugeant que son mouvement avait «redonné espoir à notre population».

L'opposante birmane est revenue au coeur du jeu politique à la faveur des réformes engagées par le nouveau gouvernement ayant succédé à la junte dissoute en mars 2011. Elle a été élue députée aux élections partielles de 2012.

Outre les réformes politiques, la «Dame de Rangoun» a aussi insisté pour que l'Europe aide la Birmanie dans des domaines comme l'éducation, la santé, l'accès à l'eau potable ou encore l'état des routes, aujourd'hui un «désastre».

«Les investisseurs n'ont pas confiance dans la situation politique et économique en Birmanie pour y investir, il y manque aussi les infrastructures de base», a-t-elle dit devant des journalistes. «Il y a un taux de chômage très élevé dans mon pays, notamment des jeunes, c'est une bombe à retardement».

«Vous avez beaucoup d'argent, ne l'oubliez pas, et beaucoup d'influence», a-t-elle lancé.

Remis chaque année depuis 1988 par le Parlement européen, le dernier Prix Sakharov a été attribué il y a deux semaines à la jeune militante pakistanaise pour le droit à l'éducation Malala Yousafzaï, 16 ans, devenue un symbole mondial de lutte contre l'extrémisme religieux.