Le procès des deux plus hauts dirigeants Khmers rouges encore vivants est entré mercredi dans sa phase finale au Cambodge, ravivant le souvenir des deux millions de morts causés par le régime, face à des accusés dans le déni.

«En dépit du nombre des charniers, les accusés continuent de nous dire qu'ils ne savaient pas», a lancé Elisabeth Simonneau-Fort, une des avocates des victimes, dénonçant des accusés octogénaires qui se sont «murés dans le silence» alors que ce procès hors normes, aux plus de 3800 parties civiles, touche à sa fin.

Revenant sur l'évacuation forcée des deux millions d'habitants de la capitale en avril 1975, dans le cadre de l'utopie marxiste des Khmers rouges de créer une société agraire sans citadins, l'avocate a appelé la cour et le public à «voir ces gens qui marchent dans la violence, la menace».

«Je voudrais que nous soyons tous capables de voir ceux qui marchent le long des routes», décrivant avec une émotion intense les parents «affolés» de perdre leurs enfants, envoyés dans des camps séparés.

«Qu'ils soient forcés de les voir», a-t-elle ajouté à l'adresse des deux compagnons de route de Pol Pot, poursuivis pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Seul l'ancien chef de l'État du «Kampuchéa démocratique» Khieu Samphan, 82 ans, a pu l'entendre de vive voix, l'ancien idéologue du régime Nuon Chea, 87 ans, s'étant fait porter pâle le matin, après vingt minutes d'audience.

«Je veux aller dans la cellule du sous-sol», a demandé «Frère numéro deux» (Pol Pot étant le numéro un), le regard caché par ses habituelles lunettes noires.

Quelque 500 Cambodgiens, victimes ou ex-Khmers rouges, mais aussi moines ou étudiants, conduits par autocars affrétés par la cour, ont assisté mercredi au début de cette dernière étape judiciaire avant le verdict.

Cela porte à près de 100 000 le nombre de personnes ayant assisté aux plus de 200 jours d'audience, selon ce tribunal spécial parrainé par les Nations unies.

«J'espère que cela apportera la justice aux victimes», a expliqué dans le public Kuy Pel, agriculteur de 62 ans qui a perdu plusieurs proches, dont un enfant de deux ans, morts de faim, prônant la réconciliation.

«Le début de la fin»

Cette nouvelle étape judiciaire est très attendue, près de quarante ans après le régime paranoïaque de Pol Pot (1975-79), qui fit deux millions de morts, exécutés, morts de faim ou d'épuisement.

Alors que le procès commencé en 2011 a été découpé en segments de crainte de voir mourir les accusés, ce premier «mini-procès» porte uniquement sur l'évacuation forcée de la capitale.

L'avocate des parties civiles Christine Martino a évoqué les «sinistres convois vers l'enfer» déportant les deux millions d'habitants de Phnom Penh notamment vers des fermes dans les campagnes.

«Ce ne sont pas les petits chefs qui ont organisé ces convois», a-t-elle dit.

Son collègue Hong Kim Suon a quant à lui insisté sur le fait que les Khmers rouges avaient «utilisé la privation de nourriture comme un moyen de répression». Nuon Chea et Khieu Samphan «savaient non seulement ce qui se passait, mais ont échafaudé cette politique», a-t-il martelé.

Après les conclusions des parties civiles, l'audience doit se poursuivre jeudi avec les réquisitoires des procureurs, puis les plaidoiries de la défense, jusqu'au 31 octobre.

Le verdict devrait ensuite être rendu au premier semestre 2014, après examen de quelque 4.000 documents. Les dommages aux victimes doivent servir le cas échéant à des projets collectifs comme la construction d'un mémorial ou des travaux de documentation.

Aucune date n'a été fixée pour le «mini-procès» suivant, mais le tribunal a évoqué la possibilité qu'il puisse commencer avant même ce verdict, malgré les problèmes de financement.

«Le début de la fin», titrait mercredi en première page le journal anglophone The Phnom Penh Post, rappelant que le procès-fleuve dure depuis près de deux ans, «après 212 jours d'audience et la perte de deux des accusés».

L'ancien ministre des Affaires étrangères Ieng Sary est en effet mort en mars, à 87 ans, et sa femme, l'ex-ministre des Affaires sociales Ieng Thirith, a été libérée pour démence.

Depuis sa création en 2006, le tribunal n'a rendu qu'un seul verdict: la perpétuité pour «Douch», chef de la prison de Tuol Sleng à Phnom Penh, où 15 000 personnes ont été torturées avant d'être exécutées.