Des coffres-forts recelant plus d'argent que n'en verra en une vie un simple Chinois, une villa sur la Côte d'Azur achetée grâce à des montages pour contourner le fisc, un enfant paradant autour du monde dans de luxueux voyages: le procès de Bo Xilai a donné l'image d'une élite communiste déconnectée.

De jeudi à lundi, les débats devant le tribunal de la ville orientale chinoise de Jinan ont étalé au grand jour le style de vie du clan rapproché de cet ancien membre du puissant Bureau politique du Comité central du PC chinois.

Ses résidences partagées avec son épouse Gu Kailai hébergeaient ainsi des coffres-forts, dont l'un au moins contenait des «centaines de milliers de yuans» et de dollars, dans lesquels puisait Gu par liasses entières.

Ce grand déballage a également permis de décrire le rôle joué par un richissime homme d'affaires proche du couple, Xu Ming, qui finançait généreusement les désirs de Mme Gu, dont une résidence de six chambres et deux étages, avec piscine et jardin, dans un quartier huppé de Cannes.

Le procès a confirmé l'image du fils du couple, Bo Guagua, souvent dépeint comme un «fils à papa», fêtard et coupé de la réalité, ce qui ne l'a pas empêché, grâce à d'efficaces «pistons», de passer par les plus prestigieuses - et coûteuses - universités mondiales, telles Harrow et Oxford en Grande-Bretagne, Harvard et (actuellement) Columbia aux États-Unis.

Des articles de presse avaient déjà détaillé son penchant pour le «bling bling», en relatant qu'on l'avait vu dans une Ferrari à Pékin ou qu'il avait enfreint le Code de la route au volant d'une Porsche aux États-Unis.

Selon le procureur, Xu Ming, actuellement emprisonné, a épongé plus de 50 000 $ de dépenses par carte bancaire de Guagua, et offert au jeune homme un gyropode Segway, un gadget à deux-roues d'une valeur de 80 000 yuans (13 661 $).

L'entreprise de Xu aurait également payé rubis sur l'ongle des billets d'avion et notes d'hôtel d'une quarantaine d'amis de Harvard de Guagua, venus visiter Pékin en mai 2011, selon Zhang Xiaojun, assistant de la famille Bo.

Bo Xilai a réfuté en bloc avoir reçu en pots-de-vin l'équivalent de 3,75 millions de dollars de Xu Ming. Il a nié aussi avoir détourné cinq millions de yuans (860 000 $) de fonds publics.

Mais, quel que soit le verdict, il faudra longtemps, selon les experts, pour effacer l'impact du scandale Bo Xilai, qui a jeté une lumière crue sur les moeurs d'une nomenklatura vivant au-dessus des lois et dans une bulle dorée, à mille lieues des préoccupations de la population.

En arrivant au pouvoir dans le sillage du 18e congrès du Parti de novembre 2012, la nouvelle direction communiste a promis un partage plus équitable des richesses, un engagement maintes fois répété ces dernières années alors que le fossé entre riches et pauvres en Chine continue à se creuser, alimentant la grogne sociale.

Ironie de l'histoire, Bo Xilai, fils d'un révolutionnaire de la première heure, avait remis au goût du jour le slogan maoïste «servir le peuple» lorsqu'il dirigeait l'énorme métropole de Chonqging (sud-ouest), orchestrant une campagne médiatique à base de «chants rouges» entonnés par les foules et d'émissions revisitant la grandeur révolutionnaire chinoise.

Pourtant, dans un pays où la corruption est un fléau national, nombre de Chinois n'attendent plus guère de probité de la part de leurs dirigeants. Et certains s'étonneraient même de la relative modestie des pots-de-vin que Bo Xilai est accusé d'avoir reçus.

«Je pense que beaucoup de gens se demandent : c'est tout?», commente Steve Tsang, un sinologue de l'Université de Nottingham. «Sans nul doute, quelqu'un dans la position de Bo pourrait, et aurait, profité nettement plus que ce qui été révélé au tribunal».

D'autres estiment que Bo a marqué des points à son procès par sa posture combative et son refus d'accepter le marchandage habituel de la justice chinoise : clémence du jugement contre contrition de l'accusé.

Dans ce contexte, certains des nombreux partisans de Bo pourraient être tentés de continuer à le soutenir, explique David Goodman, de l'Université de Sydney.

«Vu qu'ils sont tous mouillés, pourquoi ne pas soutenir ceux dont vous vous sentez proche au niveau des idées?», a-t-il dit.

Au terme du procès, le réquisitoire du procureur a laissé augurer une peine sévère en invoquant les infractions «extrêmement graves» de Bo Xilai. Le verdict tombera à une date non précisée.