Rompant avec la tradition, le premier ministre Shinzo Abe n'a exprimé jeudi aucun regret envers l'Asie pour les souffrances infligées par le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, lors d'un discours à l'occasion du 68e anniversaire de la capitulation nippone.

Au cours d'une cérémonie à Tokyo en présence de l'empereur Akihito, M. Abe s'est contenté de rendre hommage aux victimes du conflit et d'appeler à la paix.

«Je n'oublierai jamais le fait que la paix et la prospérité dont nous jouissons actuellement découlent du sacrifice de vos vies», a-t-il déclaré à l'adresse des Japonais disparus pendant la guerre du Pacifique. Et de conclure simplement: «nous allons faire de notre mieux pour apporter notre contribution à la paix dans le monde».

Depuis une vingtaine d'années, et M. Abe l'avait lui-même fait lors de son premier passage à la Primature en 2006-2007, les premiers ministres japonais profitaient de cette cérémonie de commémoration pour exprimer des remords pour les exactions commises à l'égard des populations voisines d'Asie.

Jeudi, juste avant cette allocution, des ministres de son gouvernement de droite s'étaient rendus dans un sanctuaire considéré par les voisins du Japon comme le symbole de son passé militariste.

Yoshitaka Shindo, ministre des Affaires intérieures, et Keiji Furuya, président de la commission nationale de sécurité publique avec rang de ministre, ont prié au Yasukuni, imités un peu plus tard par Tomomi Inada, ministre de la Réforme administrative.

«La consolation des âmes des victimes de guerre est une affaire purement nationale. Les autres pays ne doivent pas critiquer ou s'ingérer», a déclaré M. Furuya en sortant.

Le ministère chinois des Affaires étrangères a pourtant condamné «fermement» cette visite et convoqué l'ambassadeur du Japon en Chine.

Pékin a appelé en outre Tokyo à se pencher «de façon sérieuse sur son passé», «faute de quoi les relations entre le Japon et ses pays voisins n'ont pas d'avenir».

En plus des deux ministres, quelque 90 parlementaires japonais se sont inclinés au Yasukuni. M. Abe ne s'y est pas rendu, mais y a fait déposer une branche d'un arbre sacré.

Situé au coeur de Tokyo, ce sanctuaire rend hommage aux 2,5 millions de soldats tombés pour le Japon lors des guerres modernes. Sa réputation sulfureuse vient de l'ajout en 1978 des noms de 14 criminels de guerre, condamnés par les Alliés après 1945, en plus des autres âmes honorées.

Protégé par des centaines de policiers, le lieu de culte a aussi vu défiler des militants d'extrême droite, mais également de nombreuses familles de soldats tués pendant la Seconde Guerre mondiale, descendants dont la plupart se disent pacifistes.

«Je suis absolument contre les guerres. Je suis venue pour consoler l'âme de mon père», a expliqué Sumiko Iida, 69 ans, venue en tenue de deuil pour son parent, un médecin de l'armée mort à Bornéo (Indonésie) pendant le conflit.

Masaaki Momose, 82 ans, s'est dit également opposé aux guerres. «Mais je pense que le Japon doit discuter de sa sécurité en détail, les Américains pourraient ne pas toujours nous protéger», a-t-il toutefois ajouté.

Interrogé sur le discours de M. Abe, Shigenobu Hashiguchi, 73 ans, dont le père est mort au combat aux Philippines, s'est dit «d'accord». «Nous nous sommes trop excusés. Il est absurde de penser, comme le font des étrangers, que le Japon va renouer avec son passé impérialiste», a-t-il estimé.

Depuis son retour au pouvoir en décembre, le «faucon» M. Abe a fait augmenter le budget militaire du Japon et dit vouloir amender la constitution pacifiste imposée au pays par l'occupant américain après la guerre.

Les relations du Japon avec ses voisins restent marquées par le souvenir des atrocités commises par les troupes impériales pendant la colonisation de la péninsule coréenne (1910-1945) et l'occupation partielle de la Chine (1931-1945).

Les relations sino-japonaises sont de surcroît tendues par un différend territorial autour des Senkaku, des îlots de mer de Chine orientale administrés par Tokyo, mais revendiqués par Pékin sous le nom de Diaoyu.

Des navires gouvernementaux chinois croisent régulièrement dans la zone, non loin de ceux des garde-côtes japonais, et des observateurs craignent un incident armé entre les deux puissances asiatiques.