La justice du Bangladesh a interdit jeudi le principal parti islamiste du pays, déclenchant une série d'actions violentes des partisans du Jamaat-e-Islami dont plusieurs dirigeants ont été récemment condamnés pour des crimes commis pendant la guerre d'indépendance.

À l'issue d'une longue procédure, trois juges de la Haute cour de Dacca ont estimé que le programme du parti était incompatible avec la constitution laïque du Bangladesh.

Par voie de conséquence, le parti islamiste ne pourra présenter de candidats aux prochaines élections prévues en janvier, a précisé la Commission électorale.

«L'enregistrement du Jamaat auprès de la commission électorale est déclaré illégal, avec la conséquence qu'il ne pourra pas participer au scrutin comme parti politique», a déclaré à l'AFP un membre de la commission, Shahdeen Malik.

«S'il amende son programme pour le mettre en conformité avec la Constitution et demande de nouveau son enregistrement, il pourra être réinscrit», a-t-il ajouté.

Le parti a immédiatement interjeté appel de cette décision auprès de la Cour suprême, accusant les juges d'avoir cédé aux pressions du gouvernement du premier ministre, Mme Sheikh Hasina.

«Nous sommes stupéfaits. La décision reflète la volonté du gouvernement», a réagi un haut responsable du Jamaat, Abdullah Taher avertissant que le jugement risquait de «déstabiliser» le pays.

Alors que de nombreux policiers et des membres d'un corps d'élite des forces de sécurité étaient déployés autour du tribunal dans le centre de Dacca, après l'énoncé de la décision, les partisans du parti interdit ont commencé à défiler dans les rues de la capitale et d'une douzaine d'autres villes en bloquant des rues et en attaquant des véhicules, selon la police.

Aux abords de la ville de Bogra, des bandes de partisans du Jamaat-e-Islami ont mis le feu à un autobus et endommagé plusieurs voitures, a indiqué un haut responsable de la police, Syed Abu Sayem, à l'AFP.

La Haute cour avait été saisie en janvier 2009 par un mouvement soufi - considéré comme une expression mystique de l'islam - qui réclamait l'exclusion du Jamaat de la vie politique bangladaise.

Les organisations laïques demandaient aussi son interdiction en raison de son rôle dans la guerre d'indépendance en 1971.

Lors de l'intervention de l'Inde à la fin du conflit, signifiant la défaite imminente du Pakistan, les milices pro-Islamabad ont en effet massacré des dizaines d'enseignants, de réalisateurs, de médecins et de journalistes.

Le Bangladesh a créé en mars 2010 le controversé «Tribunal international des crimes» (ICT) pour juger les criminels, dont des dirigeants ou ex-dirigeants du Jamaat. Trois ont déjà été condamnés à la peine de mort.

Le parti accuse le pouvoir d'avoir créé ce tribunal -- baptisé ainsi en dépit de toute supervision d'institution internationale -- pour des motifs politiques, la plupart des personnes poursuivies appartenant à l'opposition.

Depuis le premier verdict le 21 janvier, 150 personnes ont trouvé la mort lors de heurts entre les forces de l'ordre et des membres du Jamaat-e-Islami.

Huit hommes politiques, dont six appartenant au Jamaat et deux au principal parti d'opposition, le Bangladesh Nationalist Party (BNP), sont toujours en cours de jugement par l'ICT.

Selon le gouvernement, la guerre de 1971 a fait trois millions de morts mais des instances indépendantes estiment que le bilan s'élève à entre 300.000 et 500.000 morts.

Environ 90% des 153 millions de Bangladais sont musulmans et la Constitution a été modifiée en 1988 pour faire de l'islam la religion d'État.

Cependant la Constitution originelle, rédigée par le principal parti laïc après l'indépendance, proscrit l'immixtion de la religion dans la vie politique.

Le Jamaat a rarement remporté plus de 5% des suffrages aux élections depuis les années 1970 mais il a participé à un certain nombre de gouvernements de coalition.

Il était aux affaires pour la dernière fois en 2006 mais son allié, le BNP, a été défait deux ans plus tard par la Awami League de Mme Hasina.