Le gouvernement indien a approuvé un vaste programme d'aide alimentaire destiné aux plus pauvres en jugeant qu'il allait permettre un grand bond dans la lutte contre la malnutrition, mais les analystes s'inquiètent du coût et de la mise en oeuvre d'une telle mesure, la plus importante au monde en terme de bénéficiaires.

Le gouvernement a publié mercredi soir un décret introduisant la «Loi sur la sécurité alimentaire nationale», qui devrait être ratifié jeudi par le président Pranab Mukherjee. Ce texte, un an avant les élections générales, est au coeur de la stratégie électorale du parti du Congrès, à la tête de la coalition gouvernementale.

Cette mesure est destinée à fournir des céréales subventionnées à près de 70% de la population, soit 810 millions d'habitants. Elle devrait alourdir la facture des subventions de 3,8 milliards de dollars par an pour la porter à près de 20 milliards, selon les autorités.

Le programme a été fortement soutenu par Sonia Gandhi, la présidente du parti du Congrès, qui a insisté pour honorer cette promesse électorale de 2009, en dépit des inquiétudes sur les finances publiques et les prix alimentaires.

L'Inde est appelée aux urnes au premier semestre 2014 et le gouvernement du premier ministre, Manmohan Singh, est en position délicate après des scandales de corruption et dans un contexte de chute de la croissance.

«Cela va être un grand pas en avant en terme d'éradication de la pauvreté», a assuré à l'AFP un leader du parti du Congrès, Tom Vadukkan. «Si l'on ne parvient pas à répondre aux besoins de base comme la faim, on ne peut parler de développement économique», a-t-il ajouté.

La loi prévoit de fournir 5 kg de céréales par mois et par personne au prix d'une roupie le kilo.

Les prix des denrées alimentaires en Inde ont flambé ces sept dernières années, aggravant les difficultés d'un pays qui lutte toujours pour nourrir correctement sa population de 1,2 milliard d'habitants en dépit de son solide essor économique depuis une vingtaine d'années.

Une étude publiée l'an dernier, dont les résultats ont été qualifiés par le premier ministre de «motif de honte nationale», estimait que 42% des enfants de moins de cinq ans étaient sous-alimentés et que 58% d'entre eux présentaient un retard de croissance lié à la malnutrition.

Le texte aurait dû être approuvé au parlement en février, mais il n'a jamais été examiné en raison des protestations de l'opposition liées aux affaires de corruption.

Les partis d'opposition ont attaqué le gouvernement pour son recours au décret, déplorant le manque de débats concernant l'impact sur les prix et les paysans, qui vont devoir produire plus. Il s'agit toutefois d'un décret temporaire qui doit être présenté au parlement cet été pour être transformé en loi.

Une dirigeante du Parti communiste, Brinda Karat, a ainsi jugé que le texte présentait de «nombreuses imperfections».

«C'est juste un gadget politique brandi dans l'urgence», a tancé de son côté un représentant du parti conservateur hindou, le Bharatiya Janata Party (BJP), Rajnath Singh.

Les critiques estiment aussi que l'Inde ne peut pas se permettre de dépenser des millions de subventions au moment où elle enregistre son plus faible taux de croissance en dix ans. En 2012-13, le produit intérieur brut (PIB) n'a progressé que de 5%.

«La situation macroéconomique actuelle de l'Inde ne lui offre pas la possibilité de mettre en place cette politique», a asséné Sonal Varma, économiste chez Nomura Securities.

Les habitants vivant sous le seuil de pauvreté ont aujourd'hui droit à des produits subventionnés, pour le gaz de cuisson, la farine, les fertilisants ou encore le kérosène, via le plus vaste système de distribution publique au monde.

Mais dans ce pays chaotique, les programmes d'aide sont notoirement inefficaces et entachés d'une corruption endémique. Une étude menée par la Commission au plan en 2005 montrait ainsi qu'environ 58 % des céréales achetées par le gouvernement ne parvenaient jamais aux bénéficiaires.

Selon Siddhartha Sanyal, économiste en chef au sein de Barclays Capital, la mise en oeuvre de ce plan risque d'être confrontée à un «énorme problème logistique, avec une coordination nécessaire de la part de chaque État» du pays.