Un citoyen japonais irrité par l'utilisation trop fréquente de mots dérivés de l'anglais a décidé de poursuivre en justice la télévision nationale afin de la contraindre à revoir ses pratiques linguistiques.

Hoji Takahashi, âgé de 71 ans, a déposé une plainte devant le tribunal du district de Nagoya contre la NHK, à qui il réclame une indemnisation de 1,41 million de yens, soit environ 15 000$.

L'homme, qui a fondé une petite association vouée à la défense de la langue japonaise, affirme que les émissions de divertissement et d'information sont truffées de mots d'origine anglaise adaptés à la structure phonétique japonaise comme «risuku» pour risque ou «shisutemu» pour système.

«Alors que la société japonaise est de plus en plus américanisée, Takahashi estime que NHK devrait, à titre de diffuseur national, s'opposer à la tendance et continuer à utiliser avec détermination le japonais», a précisé le principal avocat du plaignant, Mutsuo Miyata, au quotidien The Japan Times.

Le septuagénaire a déclaré que la NHK devait demeurer «neutre» et prendre en compte le fait qu'elle s'adresse notamment à un public âgé qui est attaché à la langue traditionnellement parlée dans le pays.

Parallèle en France

Cette préoccupation pour l'intégration de termes d'origine anglaise dans la langue nationale trouve un écho en France, où les médias font régulièrement état de polémiques liées à cette question.

Le Monde diplomatique avait dénoncé il y a quelques années «l'envahissement» de la vie quotidienne par l'anglais en montrant notamment du doigt diverses sociétés d'État.

La compagnie ferroviaire nationale, relevait alors le journal, proposait des billets «TGV-Family» tandis que France Télécom utilisait le slogan «Time to move».

Un groupe de militants soucieux du phénomène remet chaque année, avec force ironie, le «prix de la Carpette anglaise» pour dénoncer la place croissante de l'anglais dans le pays.

Un «prix spécial» a été remis en 2012 à l'Agence française pour les investissements internationaux qui a lancé une campagne publicitaire avec le slogan «Say oui to France - Say oui to innovation».

Au Québec, l'utilisation d'anglicismes est surveillée de près par l'Office québécois de la langue française, qui propose régulièrement des expressions de remplacement pour les bloquer.

Claude Poirier, qui est professeur de linguistique française à l'Université Laval, note que l'attitude de la France et du Québec au sujet d'emprunts à la langue anglaise diffère radicalement.

Outre-Atlantique, cette pratique constitue une manifestation de «snobisme». «C'est comme ça depuis un siècle et demi», souligne-t-il.

Au Québec, elle était plutôt le résultat de la «domination économique» des anglophones et touchait notamment à ce titre les milieux ouvriers.

Aujourd'hui, la population est sensible à la question des anglicismes, poursuit le linguiste, qui voit le fait de se voir contraint de parler anglais et non les emprunts à l'anglais comme la principale menace pour la place du français au Québec.

Quant au citoyen japonais qui veut s'en prendre à la télévision nationale, il en a en fait contre la société dans laquelle il vit «puisque c'est elle qui permet ce type de pratique» linguistique, conclut M. Poirier.