Les menaces des insurgés talibans et des tabous culturels coriaces risquent de priver des millions de femmes de leur droit de vote lors des élections générales pakistanaises du 11 mai, pourtant jugées cruciales pour la transition démocratique dans ce pays musulman.

Plus de 85 millions d'électeurs, 48 millions d'hommes et 37 millions de femmes, sont officiellement inscrits à ce scrutin clé dans un pays coutumier des coups d'État qui s'apprête à vivre sa première transition entre un gouvernement civil ayant achevé son mandat et un autre issu des urnes.

Mais dans des régions conservatrices du Pakistan, des femmes resteront spectatrices et non actrices de ce changement. Lors des élections de 2008, aucune femme n'avait voté dans 564 des 28 000 bureaux du pays spécifiquement prévus pour elles.

Et plus de la moitié de ces bureaux de vote étaient situés dans le Khyber Pakhtunkhwa, province du nord-ouest à la lisière de l'Afghanistan et de zones tribales considérées comme un repaire des talibans et d'autres groupes liés à Al-Qaïda.

«Nous avions attendu toute la journée mais pas une seule femme ne s'était présentée en raison d'une interdiction décrétée par les chefs de village», se souvient Badama Begum, une institutrice qui travaillait à l'époque dans un bureau de scrutin local.

Dans ces régions, le taux de participation des femmes avait oscillé entre 10 et 15% selon des estimations de responsables locaux. «Notre société ne nous autorise pas à laisser sortir nos femmes», tranche Sharif Khan, un vendeur de Miranshah, chef-lieu de la zone tribale du Waziristan du Nord.

«Nous avons peur des talibans qui s'opposent au vote des femmes. Alors, pourquoi prendre le risque?», lance-t-il. En fait, le Mouvement des talibans du Pakistan (TTP) s'oppose à la tenue même de ces élections et multiplie les attentats sanglants depuis le début de la campagne.

Dans ces régions hyper-conservatrices, des femmes vivent en «purdah», une ségrégation incarnée par le port de la burqa, mais aussi par le confinement à des pièces particulières de la maison. Les femmes ne peuvent ni travailler à l'extérieur de la maison ni aller faire les courses seules.

Pour la première fois de l'histoire pakistanaise, une femme est toutefois candidate aux élections dans ces régions, signe d'une modeste avancée.

Au Pakistan, 60 sièges des 342 de l'Assemblée nationale sont réservés aux femmes et attribués de façon proportionnelle. Plus un parti remporte de sièges, plus il peut choisir de femmes députées.

Hors cette proportionnelle, quelques dizaines de femmes seulement figurent parmi les 4671 candidats aux élections. Les femmes peuvent donc rarement voter directement pour l'une des leurs.

Les empêcheurs de voter au féminin

Outre les pressions des insurgés et les tabous, des millions de femmes ne peuvent voter faute de papiers d'identité, souligne la militante pour le droit des femmes, Farzana Bari. Dans les zones rurales, des femmes ne peuvent voyager sans être accompagnées par un homme de la famille. Sans «accompagnateur», elles ne peuvent donc voter.

Pour tenter de mettre fin à ces différentes pressions visant à décourager, voire empêcher, les femmes de voter, la Commission électorale avait proposé qu'il soit obligatoire qu'au moins 10% des femmes aient voté dans une circonscription pour valider un résultat local. Mais cette réforme a été rejetée par les parlementaires.

La Commission électorale va donc tenter d'appliquer à la lettre une loi qui autorise jusqu'à trois ans de prison et/ou une amende de 50 dollars pour quiconque empêche une personne de voter, explique son porte-parole, Khurshid Alam.

«Grâce à cette mesure, j'espère enfin pouvoir voter», souffle Khalida Bibi, une femme au foyer de Malakand (nord-ouest), qui n'avait pu participer aux élections de 2002 et 2008. Car «la population locale avait décidé que les femmes ne pouvaient pas voter».