Le brouillard de pollution est si épais qu'il semble coller au pare-brise de la voiture de Zhao Jian, réduisant la visibilité à deux mètres: bienvenue à Xingtai, la ville la plus polluée de Chine.«Je n'ai pas souvenir d'avoir vu une pollution aussi intense», dit Zhao à propos de ces dernières semaines, où les niveaux de «smog» sur le nord-est du pays ont pulvérisé des records de dangerosité.

Mais comme les autres habitants de Xingtai, une cité vieille de 3.000 ans déclarée officiellement en février «ville la plus polluée de Chine» pour son air, Zhao n'a guère d'espoir d'une prochaine amélioration: «On ne peut rien y faire», dit-il.

À Pékin, les dirigeants du Parti communiste réunis pour la session annuelle de l'Assemblée nationale populaire (ANP, parlement), ont promis des mesures contre la pollution atmosphérique, en réponse à une opinion publique de plus en plus inquiète et indignée.

La capitale chinoise elle-même a atteint en janvier des niveaux de densité de particules 40 fois supérieurs aux limites de dangerosité établies par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), avec un lourd bilan en termes de santé publique et d'activité économique.

«L'état de l'environnement écologique influe sur le niveau de bien-être de la population ainsi que la postérité et l'avenir de la nation», a prévenu le premier ministre sortant, Wen Jiabao, devant l'ANP.

«Nous prendrons la ferme résolution de résoudre les gros problèmes de pollution qui touchent aux intérêts vitaux de la population, tels que la pollution de l'air, de l'eau et du sol», a-t-il assuré.

La pollution atmosphérique a été à l'origine du décès prématuré d'au moins 8.572 personnes dans quatre des plus grandes villes chinoises l'an dernier et son coût économique évalué à 1,1 milliard de dollars, selon une étude conjointe de l'Université de Pékin et de Greenpeace publiée en décembre.

Mais la plupart des analystes estiment que seule la menace d'une grave agitation sociale forcerait les dirigeants à s'écarter du credo de la croissance à tout prix ou à prendre des mesures radicales contre les industries polluantes.

À un jet de pierre des cheminées des aciéries crachant d'épaisses fumées, les boutiquiers de Xingtai n'ont guère de difficultés à identifier l'origine du mal.

«C'est le dioxyde de souffre de l'aciérie», dit Zhang Shouxiang, 65 ans. «Les grosses entreprises ne veulent pas dépenser pour être propres».

Près de la moitié des émissions de microparticules en Chine --celles qui pénètrent en profondeur dans les poumons-- viennent de la combustion du charbon. Le reste provient des véhicules et des chantiers de construction.

Trois provinces autour de Xingtai, situé à 350 km au sud de Pékin, ont brûlé à elles seules l'an dernier près la moitié de la consommation des États-Unis, soit 400 millions de tonnes de charbon.

Si les experts s'accordent sur la nécessaire réduction de la dépendance chinoise au charbon, Pékin prévoit au contraire son augmentation.

«Nous ne voyons rien dans la politique actuelle qui pourrait réduire de façon significative la consommation du charbon», a relevé le mois dernier un rapport de la Deutsche Bank.

Et à Xingtai, on pense que des mesures antipollution seraient détournées par des fonctionnaires corrompus.

«Vous donnez un peu d'argent aux responsables et ils ne bougeront plus», dit Zhang, mimant le geste de glisser des billets dans la poche d'un officiel.

Au Service de protection de l'environnement de Xingtai -- quelques bureaux poussiéreux au-dessus d'une pâtisserie -- on est guère plus optimiste: «On devrait appliquer les mesures antipollution, mais on est trop faible», gémit M. Wang devant un ordinateur d'un autre âge affichant un taux de pollution de 179, soit 7 fois la limite OMS.

«Pour nous, c'est une journée modérée», dit-il.

La presse officielle est montée au créneau, tel le Quotidien de la jeunesse qui a dénoncé «cet air étouffant, sale et empoisonné qui force le peuple chinois à repenser ce modèle de développement anarchique généralisé».

Les manifestations sur les questions environnementales ont augmenté de 30% chaque année depuis 1996, selon le China Daily, sans atteindre toutefois le niveau de celles contre les réquisitions de terres.

Expert reconnu basé à Pékin, Yang Fuqiang note: «Les gens sont inquiets à propos de l'air parce que, maintenant, ils le voient».