Dans les campagnes pauvres de l'Inde où les femmes vivent sous tutelle, la coutume est synonyme de double peine pour les victimes de violences sexuelles souvent réduites au silence afin de préserver l'honneur de leur famille et d'un village. On ira jusqu'à incendier la maison de leurs parents pour les faire taire ou les forcer à épouser leur bourreau.

L'histoire de Debangana, une adolescente enlevée et livrée à la prostitution à New Delhi, est emblématique de l'isolement et de l'opprobre dans lesquels sont tenues ces femmes.

«En ville, une fille a toujours la liberté de décider pour elle-même, mais dans un village, elle ne peut pas s'opposer au chef. Une femme doit obéir à son père, ses frères, aux hommes du village», explique Debangana à l'AFP, jointe par téléphone depuis le Bengale occidental où elle vit.

«Pourquoi un homme punirait un autre homme?», dénonce la jeune fille âgée aujourd'hui de 16 ans.

Un jour de l'été 2010, alors qu'elle travaille dans la boutique familiale dans la bourgade de Sonarpur, deux garçons lui offrent un soda glacé --coupé aux somnifères.

Debangana reprend conscience dans un train. Trois hommes l'escortent. Arrivés à Delhi, ils l'emmènent dans un appartement.

«Ils m'ont enfermée dans une chambre, ils m'ont fait taire en me frappant avec des chaussures et des bâtons, et puis ils m'ont violée». À 14 ans, l'adolescente est vendue à un des nombreux bordels de la capitale indienne.

«Des chauffeurs, des vieux, des pauvres et quelques garçons riches, ils ont tous abusé de moi pendant un an». Jusqu'à sa libération avec 10 autres jeunes filles lors d'une série de raids de la police dans le quartier chaud de Delhi.

Faire taire les victimes

De retour chez elle, Debangana raconte son martyre. Mais c'est à peine si on veut l'entendre et il n'est pas question d'aller voir la police. Malgré les risques, malgré les menaces, elle décide quand même de porter plainte.

Tout est fait pour la persuader de renoncer.

La maison de ses parents est détruite. Leur champ de riz incendié.

Devant les policiers, tous des hommes, Debangana doit raconter, revivre encore et encore l'enlèvement, les sévices, les viols.

L'enquête est interminable. Une fois par mois, elle prend le train pour aller déposer, dans un tribunal plein à craquer où des dizaines d'inconnus écoutent son insupportable récit.

«On m'a demandé combien de fois j'avais couché avec des hommes. J'ai dit: "je n'ai jamais couché avec eux, ils m'ont violée"». À un avocat qui lui demande ce qu'elle gagnait au bordel, la jeune fille répond: «Les hommes me jetaient quelques pièces de monnaie à la figure, pour me blesser encore plus».



Lente justice, policiers corrompus



Trois de ses agresseurs présumés ont été rapidement interpellés et mis en accusation, mais deux ans plus tard, ils ont tous été libérés sous caution. Les lenteurs de la justice et les réticences des policiers mettent de nombreuses victimes au désespoir.

Une jeune fille de 17 ans qui avait subi un viol en bande le 13 novembre dans l'État du Pendjab s'est suicidée il y a quelques jours en avalant du poison après avoir vainement tenté de faire enregistrer sa plainte.

Selon sa soeur, les policiers ont même exercé des pressions pour qu'elle accepte un arrangement financier avec ses violeurs ou qu'elle épouse l'un d'entre eux.

Dimanche matin, l'Inde s'est réveillée avec les funérailles d'une étudiante de 23 ans violée et battue le 16 décembre par six hommes dans un bus à New Delhi, un fait divers sordide dont la singulière brutalité a choqué le pays.

«Elle est morte, mais moi je dois vivre, pour continuer à me battre», dit Debangana.