Le spectre de la tuberculose résistante à tous les médicaments apparaît en Inde, où les antibiotiques sont tous en vente libre. Depuis la fin de l'année dernière, des pneumologues indiens ont décrit plusieurs cas semblant défier tout l'arsenal de la médecine moderne. Certains gouvernements occidentaux envisagent de faire subir des tests aux demandeurs de visa de travail et d'étudiant, et non plus seulement aux immigrants.

«Les autorités internationales n'ont pas encore confirmé que ce sont des cas totalement résistants», explique Madhukar Pai, un épidémiologiste de l'Université McGill qui a beaucoup écrit, dans les revues scientifiques comme dans les journaux indiens, sur cette menace. «Mais la réaction du gouvernement indien a été très négative. Il estime que les pneumologues auraient dû lui en parler avant de publier dans des revues scientifiques. Il a peur que le spectre de la tuberculose nuise au tourisme et aux affaires. Au lieu de se concentrer sur le problème réel de la tuberculose résistante aux médicaments, qui est en passe de monopoliser tout le budget national de lutte contre cette maladie.»

Pas de confirmation de l'OMS

La tuberculose multirésistante (MDR) est apparue en Inde au début des années 90 et sa version «extrêmement multirésistante» (XDR), dans le même pays en 2006. Des médecins évoquent la tuberculose «totalement multirésistante» (TDR) sporadiquement depuis 2007, mais l'Organisation mondiale de la santé (OMS) n'a toujours pas confirmé l'existence du phénomène, malgré une réunion d'urgence qui s'est tenue en juillet pour évaluer la douzaine de cas indiens.

«Il n'y a pas de consensus international sur la définition, explique le Dr Pai. Il faut s'entendre sur un protocole de tests. Si on utilise des doses plus fortes de médicaments, la résistance peut être vaincue. Et la réponse clinique, sur le patient, peut être meilleure ou moins bonne qu'en laboratoire.»

Étendre les tests

Qu'à cela ne tienne, le Royaume-Uni et d'autres pays occidentaux envisagent d'étendre les tests de tuberculose, pour le moment obligatoires seulement pour les immigrants. «J'ai eu un test quand j'ai émigré au Canada, mais pas avant d'aller étudier plusieurs années en Californie, témoigne le Dr Pai. C'est absurde. Je ne pense pas qu'il faille faire des tests pour des visas à court terme. Ça serait trop coûteux pour les gens qui demandent des visas et ça ne donnerait pas beaucoup de résultats, parce que la tuberculose n'est pas contagieuse en permanence. Mais pour les visas de travail et d'études, il se pourrait que ça vaille la peine, que ça ne découragerait pas beaucoup de gens de venir ici.»

Antibiotiques en vente libre

La tuberculose multirésistante est un problème en Inde parce que la vente d'antibiotiques y est complètement libre. «Ils sont prescrits à tort et à travers et ça crée de la résistance, ajoute le Dr Pai. Les fabricants de génériques forment un lobby très puissant qui empêche toute réglementation. Et il faut dire que beaucoup d'Indiens n'ont pas les moyens de payer un docteur ou de se rendre dans une clinique publique. Il faut qu'ils gardent la possibilité d'acheter directement des antibiotiques. Je pense qu'on pourrait commencer par encadrer la vente des antibiotiques pour la tuberculose.»

Au Canada, entre 1200 et 1400 nouveaux cas de tuberculose sont déclarés chaque année, avec un taux de mortalité de 10%, selon l'Agence de santé publique. Entre 15 et 20 cas par année sont résistants à un ou plusieurs médicaments et entre 1998 et 2010, il y a eu cinq cas de tuberculose extrêmement résistante. Le problème touche surtout les réserves autochtones.