Il fut porté aux nues par des millions d'Indiens qui voyaient en lui un nouveau Gandhi capable de mettre fin au fléau de la corruption. Mais un an après avoir ébranlé le pouvoir et promis «la révolution», Anna Hazare, militant de 75 ans, ne fait plus recette.

Cet ancien chauffeur de l'armée avait observé en août 2011 une médiatique grève de la faim jusqu'à ce que le gouvernement consente à durcir sa législation anticorruption, en créant notamment un poste de médiateur de la République pour surveiller les faits et gestes des hommes politiques.

Une grande partie de la population, écoeurée de la culture de la corruption dans la vie quotidienne, avait soutenu son action par de gigantesques veillées au flambeau dans les rues du pays et en venant massivement le soutenir sur son lieu de jeûne dans le centre de New Delhi.

Un an plus tard, son mouvement aux allures de «grand soir» a tourné court alors que la loi sur le poste de médiateur n'a toujours pas été adoptée par le parlement et que les scandales de corruption continuent de défrayer la chronique, notamment dans le secteur minier.

Après avoir tenté de rallumer la mèche en débutant une nouvelle grève de la faim fin juillet, Hazare a mis fin vendredi à six jours de jeûne sans avoir réussi à attirer les foules ni à intéresser les médias, qui avaient pourtant fait leur miel de ce nouveau «héros national» incarnant espoir et renouveau.

Pour les observateurs, cette baisse d'intérêt s'explique surtout par les doutes des citoyens sur les avancées concrètes du mouvement.

«Le problème de la corruption reste énorme et il continue d'attiser la colère dans de nombreuses couches de la population. Mais beaucoup de gens se demandent maintenant si cette loi qu'Hazare a soutenue va en fait changer quelque chose», décrypte Paranjoy Guha Thakurta, un analyste politique interrogé par l'AFP.

En Inde, l'obtention d'un permis de conduire, d'un certificat de décès ou d'une ouverture de magasin nécessite de passer par la case «pots-de-vin», de même que lorsque les policiers arrêtent les automobilistes au moindre prétexte.

«Cette campagne a échoué en se focalisant sur un seul point alors que la corruption est un problème complexe. Créer de l'agitation avec un seul aspect est un bon début pour mobiliser la population, mais une fois que le temps a passé, ce n'est pas assez pour maintenir l'intérêt», estime M. Thakurta.

Prenant implicitement acte d'un besoin de changement de cap, Hazare a annoncé vendredi le lancement d'une formation politique pour tenter d'obtenir des sièges au parlement après les élections générales de 2014. Une entrée en politique aux contours assez vagues, avec pour programme de «réveiller le pays».

Hazare a assuré qu'il ne briguerait pas de siège lui-même, préférant sillonner le pays pour soutenir les candidats, en espérant tirer profit de l'image écornée du parti du Congrès au pouvoir.

Pour Uday Bhaskar, analyste politique, cette nouvelle stratégie risque de brouiller les pistes après la défiance affichée à l'égard de l'arène politique.

Aux yeux du public, «exister en politique signifie générer des fonds via des moyens illégaux. Pourquoi les gens croiraient qu'il est différent?», interroge M. Bhaskar, en estimant que le seul moyen d'ôter les doutes est de rester «en dehors du système».

À la surprise générale, Hazare a en outre annoncé lundi la dissolution de son équipe de campagne, suscitant des commentaires interrogateurs sur l'avenir réel du mouvement parmi ses plus fidèles lieutenants.

Selon les observateurs, la posture autocratique et les demandes démesurées de cet homme portant calotte et lunettes cerclées comme Gandhi, dont il se revendique en prônant le jeûne comme moyen pacifiste d'action politique, a aussi fini par agacer une partie de la population.

En novembre, il avait provoqué un tollé en affirmant qu'il soutenait la flagellation publique pour les alcooliques. Quelques mois plus tôt, il proposait d'étendre la peine de mort aux fonctionnaires jugés coupables de corruption.

L'an dernier, un éditorialiste avait résumé une partie de l'opinion en estimant que «l'homme qui est devenu le héros de la classe moyenne indienne est sur le plan idéologique un quasi-marxiste dans sa haine des riches et un quasi-anarchiste dans son mépris de la démocratie».

Mais pour Nishant Sharma, un étudiant de 19 ans interrogé par l'AFP, le vieux militant charismatique a toujours besoin de soutien: «Anna agit pour notre pays. Je le soutiens non pour moi-même, mais pour le pays tout entier», dit-il.