Au sud de la zone démilitarisée, qui sépare les deux Corées, des centaines de piquets blancs hérissent une colline verdoyante, entourée d'arbres et de rizières. Chacun domine la tombe d'un soldat chinois ou nord-coréen tombé lors de la guerre de Corée, conclue par un armistice le 27 juillet 1953, il y a tout juste 59 ans.

Le «cimetière des ennemis», duquel on aperçoit les montagnes sombres de Corée du Nord, a longtemps été délaissé. Certains piquets pourrissent, d'autres sont à terre.

La Corée du Sud et la Corée du Nord restent ennemies, mais la Chine est devenue l'un des principaux partenaires économiques de Séoul, et l'un de ses grands pourvoyeurs de touristes. L'an dernier, plus de deux millions de Chinois ont visité la Corée du Sud, qui a établi des liens diplomatiques avec Pékin en 1992.

Huang Zhun, un homme d'affaires de Hangzhou, dans l'est de la Chine, s'est rendu dans le «cimetière des ennemis» l'an dernier. «Mes compatriotes ont été laissés tous seuls dans la nature, si seuls», se désole Huang Zhun, dont le père a fait la guerre de Corée.

Qin Furong, une employée de banque de Jinan, dans l'est de la Chine âgée de 63 ans, a longtemps espéré retrouver les restes de son père, tué lors de la guerre, quand elle avait deux ans. Elle s'est rendue en 2010 au «cimetière des ennemis», mais a constaté que la plupart des tombes n'affichent que la mention «anonyme».

«Aucun nom», regrette-t-elle dans un entretien téléphonique avec l'agence AP. Qin Furong a brûlé des billets funéraires et s'est inclinée devant une fosse commune, où elle a fait une offrande de fruits et d'alcool.

La sexagénaire est reconnaissante envers la Corée du Sud d'avoir dédié un lieu à ses anciens ennemis, mais déçue de n'avoir aucun moyen de savoir si son père est enterré là.

Incitées par les visites de touristes chinois, les autorités locales ont émis l'idée de rénover le cimetière. Mais l'animosité de la majorité des Sud-Coréens envers leurs voisins du nord rend le projet quasiment impossible.

«Comment pouvons-nous compatir avec des gens qui ont pointé leurs armes sur nous», s'indigne Won Bok-Gi, 82 ans, vétéran de la guerre de Corée, qui ajoute: «Je m'oppose totalement à une telle décision. (...) Nous devrions détruire un tel lieu.»

À l'inverse, certains Sud-coréens veulent se mobiliser pour le cimetière. Kim Dong-Hun milite pour un aménagement privé du cimetière, dans le but d'accroître le tourisme et d'en faire un lieu de pèlerinage pour les Chinois.

Mugkai, un Sud-coréen qui utilise son nom bouddhiste et espère devenir bientôt moine, a mené une prière de 108 jours cette année au cimetière. Il compte y construire un petit temple et y organiser un concert. «Offrir le respect le plus élevé aux morts est un acte héroïque», déclare-t-il.

Lee Chang-Hyung, expert à l'Institut coréen d'analyses de défense, affilié au gouvernement, pense que la Corée du Sud devrait restaurer les tombes chinoises et attendre que les relations s'améliorent avec la Corée du Nord pour s'occuper des tombes nord-coréennes.

«Nous devons faire bon usage du cimetière pour développer nos relations militaires et diplomatiques avec la Chine», déclare Lee Chang-Hyung.

Le gouvernement sud-coréen a rassemblé les restes éparpillés d'environ 770 soldats nord-coréens et de 270 Chinois et les a enterrés au sein du «cimetière des ennemis» en 1996.

Environ 150 000 soldats chinois ont péri lors de la guerre de Corée selon Séoul, 116 000 selon Pékin.