Pendant la tournée eu Europe d'Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la paix, de sanglants affrontements entre bouddhistes et musulmans ont mis en péril les avancées démocratiques en Birmanie. Les citoyens se mobilisent pour rétablir la paix, car ils craignent la reprise en main du pouvoir par les militaires.

Ce jeune musulman a passé les 10 derniers jours à faire du porte-à-porte dans son quartier afin de calmer ses amis, musulmans comme lui. «Chaque fois, ils m'ont promis: «Nous n'allons jamais recourir à la violence»», rapporte Win, qui ne veut pas révéler son vrai nom parce que cela inquiéterait ses parents.

Des affrontements entre musulmans de la minorité ethnique des Rohingyas et des bouddhistes de la minorité ethnique des Arakans ont embrasé le sud-ouest du pays, entre le 3 et le 16 juin. Les 800 000 Rohingyas, apatrides, confinés dans le nord de l'État de l'Arakan, ne comptent pas parmi les minorités ethniques reconnues de la Birmanie, qui les voit comme des immigrants illégaux provenant du Bangladesh voisin. Ils sont considérés par l'ONU comme une des minorités les plus persécutées du monde.

Win, comme d'autres militants pour la démocratie en Birmanie, voulait à tout prix éviter la propagation des violences à Rangoon et à Mandalay. «Nous craignons le retour de la dictature militaire, comme en 1962 lorsque le général Ne Win avait justifié le coup d'État par les conflits ethniques qui touchaient le pays», explique Win.

Le 3 juin, 300 Arakanais bouddhistes ont attaqué un autobus transportant des pèlerins musulmans venus de Rangoon. Les émeutiers ont lynché 10 d'entre eux, puis les ont démembrés avant d'incendier le véhicule. La foule en colère voulait venger le viol et le meurtre d'une jeune fille par trois musulmans, qui ont été condamnés à mort hier. Les pèlerins étaient tous innocents.

Le 8 juin, les musulmans rohingyas se sont lancés dans une réplique dévastatrice, enclenchant un cycle d'attaques et de contre-attaques. Bilan officiel, après deux semaines d'affrontements: 50 morts, 2200 maisons incendiées et 32 000 réfugiés. Après l'imposition de la loi martiale dans la région, l'armée en a repris le contrôle, le 14 juin. Le gouvernement organise maintenant les secours avec l'aide des Nations unies, dont le Programme alimentaire mondial a donné des denrées à 66 000 réfugiés la semaine dernière, selon l'AFP.

Min se souvient que, dans sa jeunesse, un couple de Chinois birmans le saluaient toujours chaleureusement dans la rue. «Ma mère leur avait sauvé la vie en les hébergeant durant les révoltes antichinoises des années 70, relate-t-il. Durant ces attaques, des Chinois innocents étaient brûlés vifs par les manifestants.» Min croit, comme beaucoup d'autres, que le général Ne Win attisait ces conflits ethniques pour consolider son pouvoir. «Nous devons éviter les pièges qui nous ramèneraient en arrière», avertit le jeune militant pour la démocratie.

Le pire évité

Pour l'heure, le pays semble avoir évité le pire, soit une spirale conduisant à la suspension des réformes démocratiques. Après deux semaines de discours racistes sur l'internet et dans la rue, après des manifestations dénonçant les médias étrangers, accusés d'appuyer les Rohingyas musulmans, les voix pacifistes se sont finalement fait entendre.

La tournée européenne d'Aung San Suu Kyi semble avoir contribué à cette pacification fragile. Ses déclarations parviennent aux Birmans, par les journaux privés, toujours publiés quelques jours en retard, après le passage de la censure. Les quotidiens gouvernementaux, par contre, ont reçu ordre de ne rien dire de la tournée de la Dame de Rangoon qui vient de recevoir, samedi, son prix Nobel de la paix à Oslo, après plus de 20 ans de retard.