Un peu plus de deux décennies après s'être vu décerner le prix de la paix, la chef de l'opposition birmane Aung San Suu Kyi va enfin pouvoir tenir son discours Nobel samedi à Oslo, un modèle de persévérance pour les avocats de la démocratie à travers le monde.        

« Il s'agit sans aucun doute d'un des moments importants de l'histoire du Nobel », a confié à l'AFP l'actuel président du comité norvégien, Thorbjoern Jagland.

« Pendant ces 21 années, Aung San Suu Kyi a montré que c'était non seulement justifié de lui attribuer ce prix, mais elle s'est aussi imposée comme un exemple moral pour le monde entier : bien qu'elle ait passé le plus clair du temps en isolement, sa voix a été de plus en plus entendue », a-t-il ajouté.

Le 14 octobre 1991, le comité Nobel annonce que le prix de la paix est attribué à Aung San Suu Kyi « pour son combat non violent pour la démocratie et les droits de l'homme », une récompense qui donne à la frêle Birmane une dimension planétaire.

La « Dame » de Rangoun est à ce moment-là en résidence surveillée sur décision de la junte militaire qui a choisi d'ignorer l'écrasante victoire de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), aux législatives l'année précédente.

« Le régime n'avait rien contre le fait qu'elle voyage à l'étranger, mais elle risquait de ne pas pouvoir revenir dans son pays », se souvient le secrétaire exécutif du comité Nobel, Geir Lundestad, déjà en poste à cette époque.

Avant elle, seuls l'Allemand Carl von Ossietzky, le Russe Andreï Sakharov et le Polonais Lech Walesa avaient été empêchés d'aller chercher leur Nobel de la paix.

En son absence, ce sont son époux, le Britannique Michael Aris, et leurs deux fils Alexander et Kim qui reçoivent la prestigieuse récompense en son nom le 10 décembre.

« Je sais que si elle était libre aujourd'hui, ma mère vous demanderait (...) de prier pour qu'oppresseurs et opprimés jettent leurs armes et s'unissent pour bâtir une nation fondée sur l'humanité dans un esprit de paix », déclare Alexander, l'aîné, dans un discours de remerciement.

Ses paroles suscitent l'émoi dans l'assemblée.

« En écoutant Alex, la reine Sonja et la première ministre Gro Harlem Brundtland, toutes deux mères, versaient des larmes. Comme beaucoup », précise M. Lundestad.

Alarmée par son sort, la communauté internationale multiplie à cette époque les initiatives pour obtenir la remise en liberté de cette apôtre de Gandhi : appels de dirigeants, menaces de boycottage économique, diverses récompenses (prix Rafto en 1990, prix Sakharov la même année que le Nobel)...

Mais rien n'y fait.

« Elle aurait été beaucoup plus en danger si elle n'avait pas eu le prix », estime toutefois M. Jagland.

Finalement libérée l'an dernier à la faveur de réformes politiques spectaculaires dans son pays et après 15 ans en détention, Aung San Suu Kyi, aujourd'hui députée, va donc pouvoir donner la traditionnelle conférence des lauréats Nobel. À trois jours seulement de son 67e anniversaire.

« C'est une leçon d'optimisme », souligne M. Lundestad. « Cela montre que dans la durée, on ne peut pas gouverner contre la volonté populaire ».

Dans la famille des lauréats encore vivants, il ne restera plus, après Aung San Suu Kyi, que le militant pro-démocratie chinois Liu Xiaobo, emprisonné dans son pays pour « subversion », à ne toujours pas avoir pu recevoir le Nobel qui lui a été décerné en 2010.

« J'espère que ça ne prendra pas 21 ans pour qu'il vienne chercher son prix », confie M. Jagland. « Mais le cas Aung San Suu Kyi est un signal important qui montre que les partisans de la démocratie finissent un jour ou l'autre par l'emporter ».