Depuis 2009, le gouvernement chinois a entrepris d'investir 190 milliards dans son système de santé. Plus de 150 000 médecins de famille seront embauchés d'ici à 2016. Il faut dire que la Chine part de loin: sa dernière liste de priorités inclut l'installation de latrines. Pour mieux comprendre ce chantier titanesque, La Presse a suivi vendredi dernier le ministre chinois de la Santé, Chen Zhu, durant une visite d'une journée à Montréal, où il a donné deux conférences, au CORIM et à l'IRCM.

Créer le plus grand système d'assurance maladie du monde, pour 1,3 milliard d'habitants: c'est la tâche à laquelle s'est attelé Chen Zhu, hématologue de 59 ans, quand il est devenu ministre de la Santé de la Chine en 2009.

Le boum économique de l'empire du Milieu a créé d'immenses inégalités. Les plus riches ont accès à des soins à la fine pointe, alors que les plus pauvres se font souvent snober par les cliniques qui souhaitent surtout vendre des médicaments et des services à profit. M. Chen, qui a été nommé ministre sans même être membre du Parti communiste, a réussi à faire des miracles.

La proportion de la population couverte par l'assurance maladie étatique a bondi de 30% à 96% entre 2003 et 2011, et le remboursement moyen des frais est passé de 14% à 47%, selon une récente étude publiée dans la revue The Lancet. M. Chen a également réussi à inverser une tendance lourde qui favorisait les investissements publics en santé dans les secteurs riches, selon les chercheurs du Lancet. Au Québec, 75% des dépenses en santé sont publiques, selon l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS).

«Le gouvernement permettait aux hôpitaux de percevoir une commission sur les médicaments», a expliqué M. Chen durant une conférence au Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), vendredi matin. «Ça a mené à une surprescription de médicaments. Il va nous falloir changer cela et rémunérer en fonction de l'efficacité.» Rappelons que M. Chen a été classé au troisième rang des personnes les plus influentes en santé dans le monde en 2009 par le magazine Forbes.

Médecins de famille

Selon la Banque mondiale, 40% des dépenses en santé de la Chine concernent les médicaments, soit le double de la proportion québécoise, selon les chiffres de l'ICIS.

Depuis 2009, le gouvernement chinois a entrepris d'investir 190 milliards dans son système de santé - la somme originale prévue était de 124 milliards. Plus de 600 millions de Chinois ont été inscrits à un registre médical électronique - quelque 4500hôpitaux et 25 000 cliniques participent au projet. Plus de 150 000 médecins de famille seront également embauchés d'ici à 2016.

Les investissements publics en santé permettront également de faciliter la transition de l'économie chinoise pour la faire passer d'une économie axée sur les exportations à une augmentation de la demande intérieure. «La consommation doit augmenter plus rapidement, et la santé jouera un rôle dans ce changement, dit M. Chen. Nos réformes en santé commencent déjà à jouer un rôle dans la transition vers un développement durable sur le plan macroéconomique.»

L'un des instruments que M. Chen veut continuer à mettre en place est l'assurance catastrophe, qui augmente la couverture gouvernementale à 90% des frais médicaux et à 100% pour ceux qui gagnent moins de la moitié du salaire médian d'une région. Huit maladies sont déjà couvertes, ce qui touche 13% de la population chinoise. Et 12 autres, en majorité des cancers, le seront d'ici à 2015.

Permis de résidence

L'assurance catastrophe devrait inciter les Chinois à épargner moins et à consommer davantage. Mais cela ne sera possible que si l'économie continue à progresser à son rythme actuel, ce dont doutent plusieurs experts à cause du déficit démographique - il y a de moins en moins d'enfants en Chine.

Le ministre Chen doit aussi composer avec des obstacles en apparence insurmontables. L'un des obstacles à la réforme de la santé est le système de permis de résidence (hukou), qui empêche les campagnards venus travailler en ville de bénéficier des soins de santé publics urbains. Or, durant une entrevue avec La Presse après sa conférence du CORIM, M. Chen a refusé à deux reprises de commenter la réforme des hukou.

L'expertise québécoise

À la mi-mai, une délégation d'experts de la santé publique de Shanghai sont venus visiter leurs vis-à-vis montréalais. C'était leur deuxième visite en six mois. Guy Gélineau, directeur général de la Société du quartier de la santé de Montréal, espère que cela mène à une exportation de l'expertise québécoise dans le domaine de la santé.

«Très tôt, quand Shanghai a été jumelé à Montréal, on a fait des démarches pour inscrire la santé publique dans la relation, explique M. Gélineau. On l'a mis au programme lors de la visite du maire il y a deux ans et on a convenu d'un protocole l'automne dernier, avec un échange de professeurs, de résidents, des projets de recherche communs. Notre direction de la santé publique a 500 à 600 médecins de toute nature, c'est une des plus importantes masses critiques en Occident. En mai, ils ont visité le laboratoire de santé publique sur la Transcanadienne pour s'en inspirer pour le laboratoire qu'ils veulent construire. On ne fabulera pas, ils ont 24 millions d'habitants et nous,1,5 million. Mais on a l'espoir de pouvoir les appuyer dans la construction d'hôpitaux et d'autres projets. Et qui sait, peut-être que les sociétés québécoises qui construisent les hôpitaux universitaires pourront en profiter.»

Chen Zhu et Montréal

Le ministre Chen est venu à Montréal grâce à Michel Chrétien, ancien directeur de l'Institut de recherches cliniques de Montréal. Le Dr Chrétien a connu M. Chen en 1979, alors qu'il était invité à Shanghai par ses parents, des endocrinologues. En 1995, quand il dirigeait l'IRCM, le Dr Chrétien a invité M. Chen pour trois mois comme professeur invité.

Lors de sa conférence à l'IRCM vendredi, le ministre Chen a expliqué ses travaux sur l'utilisation d'une plante chinoise et de l'arsenic pour traiter la leucémie, qu'il mène toujours à Shanghai avec sa femme. L'arsenic est utilisé par la médecine traditionnelle chinoise depuis deux millénaires.