En Birmanie, pays en pleine métamorphose, de jeunes femmes journalistes repoussent les limites de la censure. Quitte à travailler dans la clandestinité.

À la rédaction du Myanmar Times, le plus grand journal privé de Birmanie, le visiteur est surpris de ne trouver que des jeunes femmes. «Non, ce n'est pas le service de publicité, ici. C'est bien la rédaction!», dit en riant Yadana Htun, la jeune rédactrice en chef adjointe de 27 ans.

«Le journalisme est féminin en Birmanie, indique-t-elle. Au Myanmar Times, 70 % de nos journalistes sont des femmes. Dans les journaux concurrents, elles comptent pour de 50 à 70 %.»

En Birmanie (rebaptisée Myanmar par les militaires), les femmes sont au premier plan du combat pour l'information, dans un des régimes les plus fermés de la planète - mais qui s'ouvre graduellement au monde depuis un an. Après trois soulèvements réprimés dans le sang (1974, 1988, 2007), la junte militaire a enclenché en 2011 une transition démocratique et a relâché la censure. L'actuel président, Thein Sein, général à la retraite, a promis cette année une loi garantissant la liberté de la presse. «Les femmes obtiennent plus facilement des entrevues avec le gouvernement. Ce sont elles qui mettent la main sur les primeurs», précise l'adjointe de rédaction.

Yadana Htun est diplômée en génie électrique, «un domaine difficile pour les femmes en Birmanie», rapporte-t-elle.

Elle a récemment réalisé un reportage sur les réfugiés de guerre dans l'État de Kachin, dans le nord du pays. «Les censeurs ont coupé les passages sur les conditions déplorables des réfugiés passés en Chine. On ne peut pas critiquer la Chine», reconnaît la journaliste. La Chine est le principal investisseur en Birmanie. Son veto au Conseil de sécurité de l'ONU est nécessaire aux généraux birmans pour contrer les pressions exercées par les États-Unis, le Canada et l'Union européenne.

À 28 ans, Nyein Nyein Naing est directrice de l'information au 7-Day News. Elle vient de remporter un prestigieux prix de journalisme créé en 2012 par la profession et le ministère de l'Information (gérant la censure!). Son article primé portait sur les récents cessez-le-feu avec les guérillas des minorités ethniques au pays. Pourtant, le Bureau de surveillance de la presse avait, deux fois (en 2010 et en 2011), frappé son texte d'un interdit de publication!

«Les conflits ethniques font encore l'objet de restrictions, explique la journaliste. Auparavant, pour en traiter, on devait recopier des extraits de La Nouvelle lumière du Myanmar, le quotidien de la junte.»

Publication limitée

Les journaux privés ne sont autorisés à publier qu'une fois par semaine. Nyein Nyein Naing et ses collègues féminines débattent donc hebdomadairement avec les censeurs. «Le jeudi soir, nous envoyons nos textes à la censure», relate-t-elle. Le samedi soir, ils nous reviennent raturés ou éliminés.» Le dimanche matin, dernier jour avant la publication, elle retourne inlassablement affronter les fonctionnaires pour repousser les limites de l'information.

«Je suis venue à ce métier pour écrire sur l'histoire en marche dans mon pays. En 2007, durant la contestation pacifique des moines bouddhistes, raconte-t-elle, nous ne pouvions rien écrire. En lisant notre journal, c'est comme si rien ne s'était passé. On se sent inutiles par moments...»

Hla Hla Win, 28 ans, avait choisi à l'époque de faire la chronique de la «révolte de Safran». En 2008, elle enseignait dans un monastère bouddhique. Elle s'est rendue clandestinement en Thaïlande pour y apprendre le journalisme vidéo avec la télévision en exil Democratic Voice of Burma (DVB). Diffusée par satellite, la DVB est établie en Norvège et en Thaïlande. La chaîne est financée de l'étranger. Elle a notamment été longtemps soutenue par le centre Droits et démocratie au Canada, organisme récemment aboli par le gouvernement conservateur. DVB diffuse des reportages réalisés clandestinement pour éviter la censure. Jusqu'à récemment, ses journalistes travaillaient sans même se connaître entre eux.

Hla Hla Win a payé le prix fort pour son engagement: deux ans et demi de prison. On vient de la libérer, avec la dernière vague de prisonniers politiques amnistiés par le président Thein Sein, en janvier 2012. Le gouvernement a même invité le directeur de DVB à une rencontre de travail, en février dernier.

Hla Hla Win continue ses reportages pour la DVB, sans licence, malgré ses conditions de libération (l'État pourrait lui imposer la poursuite de sa peine de 18 ans d'incarcération). Prudente, elle a abandonné la caméra cachée et se concentre sur des talk-shows avec de célèbres dissidents birmans.

Hla Hla Win a un grand respect pour les journalistes autorisés. «Quand j'étais en prison, c'est grâce à eux que j'ai pu savoir, même de façon limitée, ce qui se passait dans mon pays», se souvient-elle. «J'ai constaté combien ils travaillent fort pour aller chercher la nouvelle, et, surtout, la publier.»