L'Inde a effectué jeudi avec succès le premier tir d'essai d'un missile de longue portée à capacité nucléaire pouvant frapper la Chine et des pays non asiatiques, une avancée majeure qui place le pays aux portes du groupe fermé des pays détenteurs de missiles balistiques intercontinentaux.

Le missile Agni V, d'une portée de 5000 km (classe IRBM des missiles «intermédiaires» de moins de 6400 kilomètres), a été lancé à 8h05 (22h35 mercredi, heure de Montréal) depuis une base située en mer au large de l'État de l'Orissa (est).

Ce missile de 50 tonnes et de 17 mètres de haut peut atteindre des cibles sur tout le territoire chinois ainsi que dans le reste de l'Asie et dans certains pays d'Europe, selon les experts.

Seuls les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (Chine, Russie, France, États-Unis, Royaume-Uni) sont actuellement dotés de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM), d'une portée de plus de 5500 km.

Le premier ministre, Manmohan Singh, a félicité l'équipe scientifique tandis que le ministre de la Défense, A.K. Antony a salué «un impeccable succès», qualifiant le tir «d'avancée majeure dans le programme de missiles de l'Inde», selon des propos cités par son porte-parole.

Pour le chef de l'agence chargée du développement des technologies militaires (DRDO), V.K. Saraswat, il s'agit d'un «événement historique qui honore notre pays dans le domaine de la technologie des missiles».

«Nous sommes aujourd'hui une puissance dotée de missiles sans égal dans la plupart des pays du monde», a-t-il ajouté sur la chaîne NDTV.

Selon un membre du Centre indien d'études sur la puissance aérienne, Kapil Kak, «l'Inde a démontré sa capacité à fabriquer un ICBM».

La DRDO, qui a conçu le missile, avait espéré un tir mercredi soir, mais l'opération avait été différée pour cause de météo défavorable.

La troisième puissance économique d'Asie s'est engagée dans un vaste programme d'acquisitions militaires pour moderniser son armée et accroître ses moyens de défense, notamment à l'égard de la Chine.

La frontière entre les deux géants asiatiques, qui se sont affrontés lors d'une guerre éclair en 1962, est au centre de négociations bilatérales depuis les années 1980 et leurs relations diplomatiques restent empreintes de méfiance.

Pékin, dont l'arsenal militaire est beaucoup plus avancé que l'Inde, s'est contenté de prendre note du tir d'essai.

«La Chine a pris note des informations concernant le lancement du missile indien. La Chine et l'Inde sont deux grands pays émergents, nous ne sommes pas des rivaux, mais des partenaires», a assuré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Liu Weimin.

Selon Ravi Gupta, porte-parole de la DRDO, ce missile a «un effet dissuasif pour éviter les guerres et n'a pas été développé contre un pays particulier», a-t-il assuré, qualifiant ce programme de «purement défensif».

Agni, qui signifie «feu» en sanskrit, est le nom donné à une série de cinq missiles développés par la DRDO en vertu d'un programme lancé en 1983.

Tandis que les missiles de courte portée Agni I et II (jusqu'à 2500 km) ont été principalement développés en ayant à l'esprit le Pakistan, Agni III et IV (jusqu'à 3500 km) sont davantage perçus comme des moyens de dissuasion à l'égard de la Chine.

L'Inde et le Pakistan, voisins rivaux, se sont mené trois guerres depuis leur indépendance concomitante en 1947.

«Agni V peut atteindre des cibles au coeur de la Chine, libérant potentiellement les missiles de plus faible portée pour un usage contre le Pakistan et une bonne partie de l'ouest et de la Chine du sud et du centre», a commenté Poornima Subramaniam, du Centre d'analyse sur la défense IHS Jane.

Shannon Kile, expert en armes nucléaires à l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), estime pour sa part qu'Agni V fait partie d'un développement «de prestige» dans le cadre des aspirations de l'Inde à jouer un rôle accru sur la scène internationale.

Le tir de missile intervient peu de temps après le retour de l'Inde dans le cercle restreint des pays détenteurs de sous-marins à propulsion nucléaire, avec la mise en service d'un nouveau submersible prêté par la Russie pour dix ans.