Ce n'est qu'un cas d'espionnage industriel parmi tant d'autres, mais le sénateur du Massachusetts John Kerry, à titre de président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, s'est fait un devoir d'en informer le futur numéro un chinois, le vice-président Xi Jinping, lors de sa visite au Capitole de Washington mercredi.

L'affaire concerne la société américaine d'éoliennes AMSC (American Superconductor Corporation), dont le siège se trouve au Massachusetts. L'an dernier, cette entreprise a perdu 70% de ses revenus après qu'un de ses plus importants clients, le chinois Sinovel, eut soudoyé un de ses employés afin de contrefaire son logiciel protégé par copyright de contrôle de turbines éoliennes.

L'histoire ne dit pas comment le vice-président chinois a réagi en apprenant les détails de ce vol de propriété intellectuelle, qui a coûté à AMSC plus de 700 millions de dollars en contrats. Mais la mésaventure de cette société américaine s'inscrit dans «le plus grand transfert de richesse dans une brève période de temps que le monde n'ait probablement jamais vu», selon Scott Borg, directeur du Cyber Consequences Unit, un groupe de recherche indépendant spécialisé dans la cybersécurité.

«Ce que nous voyons est le vol d'industries entières. Nous avons des industries entières qui doivent fermer leurs portes en Amérique, au Japon et en Europe occidentale et qui sont reproduites dans l'Asie du sud-est», a affirmé M. Borg cette semaine lors d'une interview sur NPR.

Jusqu'à 1000 milliards par année

La semaine dernière, le représentant républicain du Michigan, Mike Rogers, président de la commission du Renseignement de la Chambre des représentants, estimait que le coût de l'espionnage industriel se situait dans une fourchette allant de 300 milliards à 1000 milliards de dollars par année.

La Chine n'est pas le seul pays à s'en prendre par l'entremise des réseaux informatiques aux secrets des États-Unis dans les domaines commercial, technologique et militaire. La Russie, la Corée du Nord et l'Iran pratiquent également le vol de propriété intellectuelle. Mais les Chinois sont «les acteurs les plus actifs et les plus constants dans le domaine de l'espionnage économique», selon un rapport rendu public l'an dernier par l'administration Obama.

«Des entreprises privées et des spécialistes de la sécurité informatique ont fait état d'une flambée d'intrusions dans les réseaux informatiques en provenance de Chine, mais [les services de renseignement américains] ne peuvent confirmer qui en est responsable», pouvait-on lire dans le rapport.

«Service à l'humanité» ou nuisance?

Le président Obama et son vice-président Joseph Biden ont tous les deux soulevé la question du vol de secrets économiques lors de leurs entretiens avec Xi Jinping, relayant la frustration de plusieurs industriels américains dont les entreprises ont été victimes d'espionnage.

Mais les reproches américains ne suffiront pas à convaincre les Chinois de changer leur approche, selon Scott Borg, l'expert en sécurité informatique.

«Les Chinois considèrent généralement le vol de technologie et des informations économiques comme un service à l'humanité, car cela permet de créer plus de valeur à court terme», a confié Borg à La Presse.

«Il y a aussi une énorme pression politique interne exercée sur le gouvernement pour faire tout ce qui est nécessaire pour maintenir leur niveau de croissance extrêmement élevé. Les Chinois auront de plus en plus besoin du vol de technologie et de secrets économiques pour y parvenir. Aussi ne seront-ils pas facilement motivés à réduire leur espionnage industriel», a ajouté Borg.

L'expert considère cependant que l'espionnage industriel nuira à long terme à la Chine et aux pays en développement en privant de ressources «ceux qui savent comment produire les innovations technologiques» et en les transférant «à ceux qui ne le savent pas».