Nul ne doutait que le tentaculaire procès des Khmers rouges durerait des années. Mais deux semaines d'audience ont encore terni le tableau: outre un dossier très compliqué, la quête de vérité souffrira du grand âge des accusés et témoins, et de la fragilité de leurs souvenirs.

Plus de trois décennies après la chute du régime de Pol Pot, le tribunal de Phnom Penh a commencé cette semaine à examiner les pièces de l'immense dossier retenu contre trois anciens cadres dirigeants.

Et les centaines de Cambodgiens venus chaque jour assister aux audiences, pour comprendre comment leur pays a pu sombrer dans le crime de masse, ont beaucoup patienté. Entre pauses pipi, difficultés auditives et coup de fatigue d'octogénaires à la mémoire vacillante.

«Nous avons été confrontés à de nombreux obstacles cette semaine, depuis les pépins techniques jusqu'aux problèmes de souvenirs et d'âge», a souligné Clair Duffy, observatrice du procès pour l'organisation américaine Open society justice initiative.

«Ça pose le décor de ce que sera ce procès, car ces questions reviendront tout le temps».

Dirigé par Pol Pot, décédé en 1998 sans avoir été jugé, le régime marxiste totalitaire a tenté d'imposer une nouvelle société agraire, sans monnaie, ni médecine, ni éducation. Deux millions de personnes sont mortes d'épuisement, sous la torture ou au gré des exécutions.

L'ex-ministre des Affaires étrangères Ieng Sary, l'idéologue du régime Nuon Chea et le président du «Kampuchea démocratique» Khieu Samphan, tous octogénaires, sont jugés pour génocide et crimes de guerre.

Ieng Thirith, ex-ministre des Affaires sociales âgée de 79 ans, devenue folle, a été pour sa part déclarée inapte à être jugée.

Le tribunal a découpé le procès pour accélérer la procédure et aboutir plus vite à un premier verdict, en commençant par un segment consacré aux déplacements de population et aux crimes contre l'humanité.

«Mais même ce mini-procès prendra un ou deux ans», pronostique Michiel Pestman, avocat de Nuon Chea. «Ce sera très long et fatiguant. C'est un procès avec déambulateur».

Nuon Chea, 85 ans, idéologue du régime et «Frère numéro 2», a été le premier à parler. Mais son intervention a été écourtée par la fatigue et une tension artérielle élevée. Juste le temps de dire que les Khmers rouges n'étaient pas des «gens mauvais» et que la responsabilité incombait aux Vietnamiens.

Les juges se sont alors tournés vers un témoin-clé, ancien assistant de Ieng Sary, qui s'adressait par vidéo-conférence faute de pouvoir supporter le voyage de sa lointaine province du nord du pays.

Mais Long Norin, un monsieur très affaibli de 73 ans, a semblé bien en peine de rassembler ses souvenirs. «Ça fait 30 ans. Comment pourrais-je me souvenir de ces choses», s'est-il emporté alors que l'accusation s'intéressait aux tâches effectuées pour le ministre des Affaires étrangères.

Un interrogatoire pénible, interrompu par les constants passages aux toilettes du témoin. Et ralenti par ses difficultés avec la technologie, qui ont forcé les magistrats à répéter les questions.

Pour tenter d'avancer un peu et de pouvoir au moins en finir avec ce témoin, la cour a décidé de siéger exceptionnellement ce vendredi. Las, la séance a été ajournée aussitôt ouverte, après l'annonce que Long Norin s'était fait porter pâle, au grand dam des quelque 300 étudiants venus entendre son témoignage.

«On reviendra. Nous voulons comprendre le régime de Pol Pot», a promis Seang Virak, 19 ans. «Je suis très en colère contre lui parce qu'ils ont tué des gens dans tout le pays».

Mais au Cambodge, la colère n'est jamais synonyme d'impolitesse. «Je suis désolé d'entendre que le témoin est malade», a ajouté l'adolescent.