Le frêle Zabita se faufile entre voitures, motos et charrettes pour porter de l'eau aux commerçants accablés par la chaleur de Peshawar, dans le nord-ouest du Pakistan. À 7 ans, il travaille dans la rue pour à peine plus de 2 euros (2$ et 80 cents) par mois, pour remplacer son père tué il y a deux ans dans un attentat sur ce marché.

Les talibans alliés à Al-Qaïda, dont les bastions sont aux portes de Peshawar, dans les zones tribales frontalières avec l'Afghanistan, mènent une campagne extrêmement meurtrière d'attentats -suicide pour la plupart- qui a fait plus de 4700 morts ces quatre dernières années dans tout le pays.

Plus de 500 attentats en quatre ans... Al-Qaïda et les talibans avaient décrété en 2007 le djihad, la «guerre sainte», à Islamabad pour son soutien, depuis fin 2001, à la «guerre contre le terrorisme» de Washington.

Et, le 28 octobre 2009, Khaïrullah Khan, le père de Zabita, a péri sur ce marché très fréquenté, le Bazar Menaa, dans l'une de ces attaques les plus sanglantes: 125 personnes ont été tuées dans l'explosion d'une voiture piégée.

Zabita est l'aîné, ses frères Sajjad et Arif n'ont que 5 et 3 ans. C'est à lui que revient l'obligation de subvenir aux besoins de la famille depuis la mort du père.

Tous les après-midi, après l'école, il devient porteur d'eau, pour 300 roupies par mois (un peu plus de 2$ et 80 cents), dans un pays accablé par la misère, en grande partie due à l'incompétence du gouvernement et la corruption jusqu'au sommet de l'État.

«Je n'aime pas travailler sur ce marché, je préfère l'école où j'étudie et je joue à cache-cache avec mes copains», dit le garçonnet, visiblement abattu. «Je n'ai pas d'amis ici, je viens parce que ma mère me dit que je dois travailler pour faire manger la famille, mes frères», explique Zabita.

Avec 4700 morts depuis l'été 2007, dont de nombreux soutiens de famille, on imagine aisément que le cas de Zabita n'est pas isolé.

Même si Zarina Jillani, qui dirige les recherches de la branche pakistanaise de l'ONG Society for the Protection of the Rights of the Child, reconnaît qu'il n'existe pas de statistique pour évaluer le nombre de ces victimes indirectes du terrorisme parmi les quelque 10 millions d'enfants qui travaillent au Pakistan.

«Dans nos traditions, le fils aîné devient le soutien de famille après la mort du père», explique Mohammad Umer, l'oncle de Zabita.

À Tangi, au nord de Peshawar, en plein coeur d'un fief des talibans, la petite Wajiha, 11 ans, vit le même drame que Zabita, même si son père a survécu. Elle est la seule fille de la ville, et probablement une des très rares dans la région, sinon le pays, à être taxi au guidon d'un rickshaw, ces motos à trois roues surmontées d'une cabine à deux places.

Son père Inamuddin était fier d'être soldat mais en juillet 2006, il a été grièvement blessé dans une attaque-suicide des talibans contre son poste militaire. Il a passé deux ans à l'hôpital avant d'en sortir avec notamment une jambe atrophiée. Avec la maigre pension qu'il a reçue pour sa blessure, il a acheté un rickshaw pour 40 000 roupies, environ 450$.

Il a d'abord essayé de travailler seul et Wajiha aimait s'asseoir à son côté pour s'amuser. Mais, quand il était trop fatigué ou que sa jambe le faisait trop souffrir, elle a commencé à prendre le guidon.

Maintenant, elle va à l'école le matin et prend le relais d'Inamuddin l'après-midi quand il ne peut plus travailler. Presque une hérésie dans une société musulmane très conservatrice où la place de la femme est cantonnée à la maison dans la très grande majorité des familles.

«Je n'aime pas que ma fille travaille, mais je ne peux pas faire autrement», se lamente le père de Wajiha. Mais la fillette dit qu'elle adore aider son père. «Ça m'aide à me sentir bien, et puis j'aime bien conduire, c'est facile et ça rapporte un peu d'argent pour la famille», dit-elle.

«Je gagne 150 roupies (environ 1$ et 70 cents) en faisant trois courses par jour», explique Wajiha en garant son rickshaw avant de courir pour rentrer à la maison.