L'un des dissidents les plus importants de Birmanie est sorti de prison mercredi, dans le cadre d'une vaste amnistie qui concerne plus d'une centaine de prisonniers politiques et confirme un important vent de réformes dans le pays.

Depuis la libération en novembre 2010 de la détenue la plus célèbre de Birmanie, le prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, l'élargissement des prisonniers politiques est devenue la priorité numéro un de la communauté internationale.

Et la condition sine qua non pour envisager la levée des sanctions occidentales en place depuis la fin des années 90.

Le régime en place à Naypyidaw depuis mars dernier a fait un pas en ce sens, même si le nombre d'opposants restant en détention devrait demeurer très important.

Le truculent comédien et humoriste Zarganar a ainsi pu sortir de sa cellule d'une prison de l'extrême nord du pays tôt dans la matinée. Il avait été arrêté en 2008 après avoir organisé l'aide aux victimes du cyclone Nargis (138 000 morts et disparus). Il avait écopé d'un total de 59 ans de prison, ensuite réduit à 35.

Zarganar est arrivé en début d'après-midi à l'aéroport de Rangoun, accueilli par une foule de proches, de journalistes et d'artistes.

Interrogé sur un message qu'il voudrait délivrer au président Thein Sein, qui avait annoncé mardi cette amnistie de 6300 détenus, il a répondu: «je voudrais lui demander pourquoi il est si pingre. Il reste encore beaucoup de gens en prison qui doivent être libérés».

Les autorités n'ont pas diffusé de liste nominative officielle. Mais parmi les amnistiés figurent de nombreux membres de la Ligue nationale pour la démocratie» (LND) de Mme Suu Kyi, qui a estimé le nombre total de bénéficiaires à 120.

En revanche, le régime n'a pas libéré de dirigeants de la «génération 88», qui a participé aux violentes émeutes étudiantes de 1988, l'une des plus importantes révoltes dans le pays ces 50 dernières années.

Les chancelleries occidentales estimaient jusqu'à aujourd'hui à environ 2000 le nombre total de prisonniers politiques dans le pays -opposants, journalistes, avocats, artistes, moines bouddhistes.

«Lorsqu'on ne parle que de quelques dizaines, au sein d'une population de 2000, il est difficile d'y voir autre chose qu'un geste symbolique en direction de la communauté internationale», a tempéré à cet égard Benjamin Zawacki, d'Amnesty International.

«J'ai été libéré après avoir purgé 21 ans et deux jours. Je suis content, mais aussi inquiet pour ceux qui restent en prison,» a déclaré pour sa part le dissident Aung Kyaw Soe à sa sortie de la sinistre prison d'Insein de Rangoun.

Mardi, la Commission nationale des droits de l'homme avait demandé publiquement que des «prisonniers de conscience» soient élargis, rappelant que la mesure était exigée depuis longtemps par la communauté internationale.

Mais cette décision s'inscrit dans un processus plus large. Le président Thein Sein, entré en fonction en mars suite à la dissolution de la junte militaire, tente en effet de prouver la sincérité de ses réformes.

Les gestes symboliques se sont multipliés à un rythme effréné dans un pays habitué jusqu'à mars dernier au conservatisme répressif du généralissime Than Shwe, chef de la junte au pouvoir à partir de 1992, et qui a depuis pris sa retraite.

Le nouveau patron du pays a notamment entamé le dialogue avec Mme Suu Kyi, que la junte avait maintenue en détention pendant plus de 15 des 20 dernières années. Et il a annoncé fin septembre la suspension d'un projet de barrage financé par les Chinois pour «respecter la volonté du peuple».

Des avancées que les États-Unis avaient saluées lundi, évoquant des «évolutions spectaculaires en cours».

«Je pense que Thein Sein est en train de s'approprier le processus de transition», a relevé pour sa part Renaud Egreteau, chercheur à l'Université de Hong Kong.

«Il veut désormais s'affirmer en leader éclairé et cela passe par des concessions de poids, et rapides», a-t-il ajouté, tout en jugeant difficile de présager si le pays était à l'abri d'un retour de la ligne dure de l'armée.