Les alliés de l'ex-premier ministre thaïlandais en exil Thaksin Shinawatra, renversé par un coup d'État en 2006, sont revenus au pouvoir, mais leur histoire d'évictions à répétition et l'instabilité du pays font craindre que le gouvernement dirigé par sa soeur ait du mal à durer.

La nouvelle première ministre Yingluck Shinawatra, élue vendredi par l'assemblée, «dirige une force politique totalement inacceptable pour de nombreuses personnes puissantes» du royaume, souligne Michael Montesano, de l'Institut d'études sur l'Asie du Sud-Est à Singapour. «La survie va être un problème pour elle».

Thaksin, vu par les élites comme un ennemi de la monarchie, et ses alliés ont remporté toutes les élections depuis 2001, mais ont été chassés par l'armée en 2006, puis deux fois par la justice en 2008.

Depuis cinq ans, la Thaïlande est profondément divisée entre les masses défavorisées du nord et du nord-est du pays, favorables à Thaksin, et les élites de la capitale gravitant autour du palais royal (armée, magistrats, hauts fonctionnaires), qui le haïssent.

Un fossé mis en évidence par la crise du printemps 2010, qui avait fait plus de 90 morts. Les «chemises rouges» pro-Thaksin avaient alors occupé le centre de Bangkok pendant deux mois pour réclamer la démission du gouvernement d'Abhisit Vejjajiva soutenu par les élites, avant d'être délogés par l'armée.

Yingluck a reconnu elle-même que le «premier problème urgent» était de parvenir à la «réconciliation».

Pour ce faire, elle devra «gérer les adversaires de Thaksin efficacement. Elle doit leur tendre la main. Elle doit nommer les bonnes personnes qui leur tendront la main», souligne Thitinan Pongsudhirak, politologue à l'université Chulalongkorn de Bangkok.

Mais ce sera «difficile et peut-être impossible», parce que les masses défavorisées soutenant Yingluck sont vues comme une menace par les élites.

«La question est, verrons-nous une répétition de 2008 sous Yingluck?», s'interroge le chercheur.

C'est-à-dire l'intervention de la rue et de la justice pour évincer un gouvernement pro-Thaksin.

2008 avait vu les «chemises jaunes» royalistes manifester pendant des mois contre les pro-Thaksin au pouvoir, allant jusqu'à occuper les aéroports de Bangkok pendant neuf jours. En parallèle, des décisions de justice chassaient les < ministres pro-Thaksin et permettaient l'arrivée d'Abhisit au pouvoir.

Alors que les Démocrates d'Abhisit ont déjà déposé une requête pour dissoudre le Puea Thai au pouvoir, la possibilité d'un nouveau «coup d'État judiciaire est très élevée», estime Michael Montesano.

Une éventualité qui ne manquerait pas de renvoyer les «rouges» dans la rue.

Les analystes sont en revanche plus sceptiques sur l'hypothèse d'un coup d'État militaire, dans un pays qui a connu 18 putschs ou tentatives depuis 1932.

À moins d'un «danger clair et immédiat pour la monarchie», estime Thitinan, notant que le retour de Thaksin serait probablement un «point critique» pour l'armée.

Le Puea Thai a évoqué pendant la campagne une amnistie pour les hommes politiques condamnés, dont Thaksin.

Mais l'analyste Chris Baker «doute» d'un retour rapide du milliardaire. «Ils auront d'autres choses à faire avant» de prendre une décision si controversée.

Une amnistie risquerait en plus de mettre en colère certains «rouges» qui veulent que les militaires soient punis pour les événements du printemps 2010.

Autre piège potentiel pour Yingluck: sa gestion du conflit frontalier avec le Cambodge, autour du temple de Preah Vihear.

Les «ultranationalistes», dont les «jaunes», sont «décidés à politiser» ce conflit et elle devra donc trouver un «consensus intérieur suffisant pour entreprendre un engagement international», estime Thitinan.