Le Pakistan a ordonné vendredi l'envoi de 1000 soldats en renfort avec l'ordre de tirer à vue si nécessaire à Karachi, mégalopole du sud ensanglantée par des violences politico-ethniques qui ont fait au moins 80 morts depuis trois jours selon les autorités.

La ville restait sous tension, avec des commerces fermés et des habitants cloîtrés et privés de ravitaillement dans les quartiers théâtre des affrontements, où des tirs sporadiques se faisaient encore entendre.

Ces campagnes de meurtres opposent notamment depuis des décennies le Muttahida Qaumi Movement (MQM), parti dominant à Karachi, et l'ANP (Awami National Party), qui représente différentes communautés. Chaque camp accuse l'autre de multiplier les assassinats ciblés contre les membres de son parti.

L'ambassadeur américain au Pakistan, Cameron Munter, a exprimé sa «profonde inquiétude» sur la situation de la capitale économique du pays, port où transite une grande partie du ravitaillement destiné aux 130 000 troupes de l'OTAN déployées dans l'Afghanistan voisin.

«Au moins 80 personnes ont été tuées et plus de 100 blessées depuis mardi», a déclaré le ministre de l'Intérieur Rehman Malik, ajoutant que 89 personnes avaient été arrêtées, et leurs armes confisquées.

M. Malik avait auparavant annoncé l'envoi de 1000 renforts militaires «pour reprendre le contrôle de la situation», après que la principale Commission des droits de l'Homme du pays a critiqué l'inaction du gouvernement.

Le ministre n'a toutefois pas annoncé d'opération de grande ampleur dans cette ville de quelque 16 millions d'habitants, appelant les forces de sécurité à mener des «opérations ciblées» contre les meurtriers.

Les forces de sécurité ont reçu l'ordre de «tirer à vue» sur tout homme impliqué dans des fusillades, a de son côté souligné Sharjeel Memon, ministre de l'Information de la province du Sind, dont Karachi est la capitale.

Les violences touchent notamment des quartiers pauvres de l'ouest de la ville, labyrinthiques refuges de milices locales, où les habitants se disaient en partie cloîtrés chez eux.

«Les murs de ma maison sont criblés de balles, et beaucoup de choses ont été détruites. Nous passons en partie notre temps à esquiver les rafales de balles», a déclaré à l'AFP Akber Khan, un habitant du quartier d'Orangi.

«La plupart des habitants n'ont plus d'eau ni de nourriture. Nos enfants ont faim et soif», a ajouté un de ses voisins, Mohammad Imran, par téléphone.

Anwer Kazmi, un cadre d'Edhi, la principale ONG humanitaire du pays, a souligné la difficulté d'acheminer de l'eau et de la nourriture aux habitants. «Sept de nos ambulances ont essuyé des tirs, mais aucun de nos employés n'a été blessé», a-t-il expliqué.

Selon plusieurs témoins, les habitants commençaient à fuir ces quartiers pour se réfugier chez des proches habitant d'autres quartiers.

Lors de l'attaque la plus meurtrière, jeudi soir, des hommes armés ont mitraillé deux bus dans l'ouest de la ville, tuant au moins 10 passagers et en blessant une vingtaine d'autres, selon les autorités. Les agresseurs avaient réussi à prendre la fuite.

Depuis des mois, Karachi est le théâtre, chaque jour, de dizaines de meurtres liés à ces rivalités politico-ethniques mais aussi à une criminalité de plus en plus violente.

L'armée et la police y ont déployé des renforts massifs depuis des années, en vain. Les autorités ont selon certains observateurs d'autant plus de mal à juguler les violences que le MQM a récemment claqué la porte de la coalition gouvernementale. Selon la Commission des droits de l'Homme du Pakistan, 1300 personnes ont été tuées à Karachi, dont 490 dans des assassinats ciblés, depuis le début de l'année.