Inventeur du microcrédit, surnommé le «banquier des pauvres», Muhammad Yunus n'a plus besoin de présentation dans son pays d'origine, le Bangladesh, depuis qu'il a reçu le prix Nobel de la paix en 2006. Mais sa célébrité ne lui sert pas de rempart ces jours-ci. L'homme qui a fondé la banque Grameen, maintenant forte de plus de huit millions de clients, doit se battre pour rester à sa tête.

Le 3 mars, la Banque centrale du Bangladesh a signifié à M. Yunus qu'il était démis de ses fonctions en tant que grand patron de l'institution financière qu'il a fondées en 1983 et qui depuis, a été imitée partout sur la planète. Les raisons officielles de son licenciement soudain? La Banque a fait valoir que M. Yunus, âgé de 70 ans, contrevient à la loi sur les retraites, établissant à 60 ans l'âge de la retraite des banquiers. Les autorités du pays reprochent aussi à M. Yunus d'avoir été reconduit dans ses fonctions de directeur de la banque Grameen en 1999, sans l'approbation de cette même Banque centrale.

M. Yunus et ses partisans, nombreux au Bangladesh parmi les organisations non gouvernementales autant qu'à l'étranger, n'en croient pas un mot. Qualifiant la décision gouvernementale d'absurde, l'économiste, qui a étudié et enseigné aux États-Unis avant de mettre sur pied la première banque de microcrédit au monde, estime que son licenciement est «politique» et n'a rien à voir avec la procédure de nomination. Il rappelle que le gouvernement détient trois sièges au conseil d'administration qui l'a reconduit à l'unanimité à la tête de la banque en 1999 et soupçonne l'État de vouloir prendre le contrôle de l'institution qu'il a créé.

Débouté en cour

M. Yunus a saisi la justice du Bangladesh de l'affaire, mais lundi, il a été débouté par la Haute Cour. Dans sa décision, le juge a estimé qu'il était «clair comme de l'eau de roche» que l'ordre d'éviction de M. Yunus est «légal». La décision a peu surpris le camp Yunus qui, de l'aveu de l'avocate Sara Hosain, avait prévu le coup. Mercredi, M. Yunus a porté la décision en appel devant la Cour suprême du pays.

«Nous espérons qu'en attendant, rien ne mettra en péril la stabilité de la banque Grameen. Huit millions d'emprunteurs et 26 000 employés ont permis à la banque de devenir ce qu'elle est grâce à leur travail acharné, préparant l'avenir de nos enfants. Nous espérons que rien n'arrêtera cela», peut-on lire dans un énoncé publié sur le site web de l'institution financière. Mercredi, le gouvernement américain a pour sa part défendu «l'indépendance de la banque Grameen».

Bisbille politique

Une inimitié entre M. Yunus et l'actuelle première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina Wajed, serait à la base de toute cette histoire. En 2007, alors que la première ministre était assignée à résidence par l'armée à la suite d'allégations de corruption, M. Yunus avait avancé l'idée de mettre sur pied un nouveau parti politique. De retour au pouvoir l'an dernier, la première ministre fait depuis la vie dure à M. Yunus, l'accusant notamment de «sucer le sang des pauvres».

Le Bangladesh est l'un des pays les plus pauvres de la planète, avec un produit intérieur par habitant de 1700$ annuellement.