Rehana Yasmin, 19 ans, avait confiance en ces femmes venues aider les habitants de son village pakistanais détruit par les inondations de l'été dernier. Elle ne se doutait pas qu'elle finirait livrée à deux hommes, puis violée sous la menace de leurs armes.

Comme elle, un millier de femmes ont été violées au Pakistan en 2010, un chiffre stable par rapport à 2009, plus de 2 200 enlevées et près de 1 500 assassinées, selon la fondation Aurat qui tente de les protéger. Plus de 600 autres se sont suicidées, et 500 ont dénoncé des violences domestiques.

Rehana, du fond de son village du district de Rajanpur, dans le centre du pays, avait cru ces trois femmes qui étaient venues la chercher en lui faisant miroiter une aide pour les victimes des inondations.

«Mais elles m'ont emmenée dans une maison, loin de chez moi, et m'ont livrée aux deux fils de l'une d'elles», pleure la jeune fille, le visage dissimulé par un voile noir. Forcée à signer des papiers rendant officiel son mariage, elle a été violée à deux reprises.

«Les chiffres ne donnent qu'une image partielle de la réalité des affaires de violence contre les femmes dans ce pays», souligne la fondation Aurat dans son rapport annuel.

«Le principal problème au Pakistan, c'est la mauvaise application de la loi, il n'y a pas d'état de droit, les gens manipulent la loi», estime Rabeea Haadi, coordonnateur national de la fondation.

Celle-ci dénonce notamment la tradition ancestrale du Karokari, meurtre perpétré contre une femme accusée d'adultère, une version tribale du crime d'honneur.

Dans la province du Sindh (sud), Gulshan Bibi a ainsi été enlevée puis violée, alors que son père avait refusé d'obéir à un chef local.

Au départ, son beau-frère, influencé par le chef tribal, avait faussement accusé Gulshan d'entretenir une relation avec un membre d'une autre tribu, alors qu'elle venait de se marier quatre mois plus tôt avec un de ses cousins.

Refusant de la livrer, son père réussit à la faire partir. Mais la jeune fille fut retrouvée puis enlevée par le chef tribal, qui la retint prisonnière et la viola pendant un an.

Finalement libérée, elle accoucha ensuite de l'enfant de son tortionnaire.

«Même mon propre mari ne me supportait plus et s'est rangé du côté du chef tribal», témoigne-t-elle, désormais recueillie et placée en lieu sûr. «J'étais détenue avec beaucoup d'autres femmes, j'en ai vu certaines se faire tuer».

«Il y a des dizaines de cas comme ceux de Yasmin et Bibi», déplore Mukhtaran Mai, qui a ouvert un refuge pour accueillir ces femmes victimes.

«On ne pourra pas lutter tant que le système judiciaire ne sera pas équitable et que les victimes n'obtiendront pas justice», estime-t-elle.

Mukhtaran Mai elle-même fut violée en 2002 par quatre hommes devant une «jirga», un tribunal tribal, et se bat depuis pour obtenir justice.

La Cour suprême a mis sa décision en délibéré le mois dernier.

Mais dans un pays où «85% des femmes sont victimes de violences domestiques au moins une fois dans leur vie», selon Tahira Andullah, principale défenseure des droits des femmes au Pakistan, les mouvements de défense doutent de la volonté des autorités de faciliter les recours des victimes.

«Les policiers sont payés par les chefs de tribus. Si une femme est enlevée et violée par le fils de l'un de ces chefs ou ses amis, où peut-elle aller ?», s'interroge Tahira Andullah.