Comme beaucoup de jeunes filles taïwanaises, Lee You-fang aime la musique pop et jouer avec son chien. Mais son métier est plus surprenant: elle ramasse les os dans les cimetières, pour apaiser les défunts.

You-fang, 19 ans, a appris le métier auprès de son père: ramasser et nettoyer les os, recomposer les squelettes, puis les enfouir dans des urnes, selon un très ancien rite funéraire.

Elle travaille à plein temps depuis la fin du lycée l'an dernier et perpétue ainsi une tradition familiale initiée il y a plus de 80 ans par son arrière-grand-père.

«Beaucoup de clients sont très supris quand ils me voient car cette profession compte extrêmement peu de femmes», déclare la jeune fille à l'AFP dans le cimetière de Tainan, au sud de Taïwan.

You-fang a un visage d'adolescente et une voix douce. Mais elle ne ressent aucune crainte dans l'exercice de son métier. «Je regarde mon grand-père et mon père travailler depuis que je suis toute petite. J'ai toujours été curieuse de voir les os».

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Le ramasseur doit nettoyer les os avec de l'alcool.

Pour préparer le «deuxième» enterrement, le ramasseur d'os ouvre la tombe et récupère les restes du cadavre.

«Ça peut être très dangereux car des ramasseurs d'os sont morts en inhalant les odeurs empoisonnées» lors de l'ouverture du cercueil, explique-t-elle.

«Mon grand-père a un jour ouvert le cercueil d'une femme et le corps a quasiment sauté hors de la boîte. Tout le monde s'est enfui, paniqué, pensant qu'elle avait ressuscité. En fait, le corps, qui ne s'était pas décomposé, s'est relevé car les cheveux étaient coincés dans le couvercle».

Il faut ensuite nettoyer les os avec de l'alcool, recomposer le squelette et le mettre à sécher au soleil et au vent.

La colonne vertébrale est fixée sur une branche d'arbre avec du fil rouge. D'autres parties du squelette sont marquées d'encre rouge pour symboliser le sang et le lignage familial.

Des prières sont ensuite récitées pour bénir le mort et ses descendants, tandis que les os sont mis dans une urne, qui sera déposée dans un temple, et non en terre.

Cette tradition est liée à la croyance selon laquelle le feng shui des tombes des ancêtres peut affecter la vie des descendants. Les ensevelir à nouveau favorise le retour de la chance lorsque les temps sont difficiles.

Le feng shui est un art ancestral chinois consistant à déterminer l'endroit idéal pour les maisons, les bureaux et les tombes.

«En étant ramasseur d'os, nous faisons le bien. Nous aidons les morts à reposer en paix et à aller vers l'autre monde», assure You-fang.

La jeune fille a ainsi récemment oeuvré pour une famille affectée par des problèmes de santé depuis que la tombe de leurs ancêtres avait été inondée.

You-fang et son père se rendent parfois dans des cimetières isolés, dans les montagnes de Taïwan. «On y trouve souvent des serpents venimeux et des fourmis de feu qui rôdent autour des tombes. Franchement, j'ai plus peur des serpents que des morts parce que les serpents peuvent me mordre».

Le métier disparait peu à peu, se désole Lee Ta-sung, 49 ans, le père de You-fang. Le gouvernement a interdit il y a quelques années les enterrements dans les zones les plus urbaines de l'île et beaucoup de Taïwanais optent pour la crémation, moins chère.

De ce fait, You-fang et son père ne travaillent plus que sur 30 à 50 cas par mois aujourd'hui contre 200 il y a 20 ans.

Mais «nous continuerons aussi longtemps que les gens auront besoin de nous», déclare Lee Ta-sung.

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You-Fang.