Tentes bien alignées, massages, repas gratuits et discours politiques. Des centaines de «chemises jaunes» royalistes campent depuis peu devant le siège du gouvernement thaïlandais, concrétisant le retour d'un des mouvements les plus puissants du pays ces dernières années.

Mardi, lors de leur première grande manifestation depuis des mois, ils étaient plusieurs milliers à accuser le Premier ministre, Abhisit Vejjajiva, de brader une partie du territoire national au voisin cambodgien.

La dispute frontalière avec Phnom Penh n'est qu'un prétexte pour «revenir sous les projecteurs», estime Pavin Chachavalpongpun, de l'Institut d'études sur l'Asie du Sud-Est à Singapour.

Mais même artificiellement, les «jaunes», qui ont fait chuter plusieurs gouvernements depuis cinq ans, sont bel et bien là.

«Nourriture végétarienne gratuite», peut-on lire devant un alignement de marmites et une montagne de choux. Un peu plus loin, toilettes et douches de campagne occupent le trottoir, tandis que coiffeurs et vendeurs de montres, de moustiquaires ou d'amulettes font des affaires.

En 2006, leurs manifestations avaient déstabilisé le gouvernement populiste de Thaksin Shinawatra, jusqu'à ouvrir la voie à un coup d'État militaire contre lui.

Deux ans plus tard, un long mouvement couronné par l'occupation des aéroports de Bangkok avait précipité la chute d'un gouvernement pro-Thaksin et l'arrivée d'Abhisit au pouvoir.

Depuis, «leur soutien public a diminué», souligne Pavin. Pour gagner en «crédibilité politique (...), la seule chose qu'ils puissent faire est d'attaquer le gouvernement en place, quel qu'il soit».

Au coeur de la manifestation, la rhétorique nationaliste est bien huilée. «Nous devons nous battre pour protéger notre territoire», martèle Chutikarn Rattanasupa, 42 ans, qui a lâché son épicerie de Nakhon si Thammarat (sud) pour s'installer sous des bâches géantes protégeant les manifestants du soleil.

Les «jaunes» de l'Alliance du peuple pour la démocratie (PAD), soutenus par les élites de Bangkok gravitant autour du palais royal, réclament quelques kilomètres carrés de territoire à la frontière cambodgienne, autour du temple khmer de Preah Vihear, des ruines du XIe siècle.

Même revendication pour le Réseau patriote thaïlandais, un groupe ultra-nationaliste qui campe à proximité, mais sans se mélanger.

Devant la scène où se relaient les leaders du mouvement, des militants agitent à l'unisson leurs célèbres «applaudisseurs» en plastique en forme de main.

Mais nonobstant cette ambiance de fête foraine, les barbelés tranchant déployés entre le camp et la grille cadenassée de «Government House» rappellent que les «jaunes» avaient occupé le bâtiment pendant plus de trois mois en 2008.

«Je suis restée 193 jours en 2008 et je suis prête à rester de nouveau», promet Nittaya Kurakan, 40 ans.

La Thaïlande confirme ainsi son amour exacerbé des manifestations. «Si Abhisit ne cède pas, je pense que les manifestations vont se poursuivre», estime Paul Chambers, de l'université allemande d'Heidelberg.

D'autant que les ennemis intimes des «jaunes», les «chemises rouges» favorables à Thaksin, qui ont bloqué la capitale au printemps et n'en sont partis qu'après un assaut militaire et plus de 90 morts, sont eux aussi de retour, deux fois par mois.

«2011 est une année cruciale pour les manifestations car des élections doivent être organisées, au plus tard en février 2012. Alors les chemises, de toutes les couleurs, sont prêtes à se faire entendre haut et fort», souligne Chambers.