Chiranuch Premchaiporn se décompose lorsqu'elle pense à son avenir: en Thaïlande, où la moindre critique d'un roi immensément révéré est interdite, elle risque 70 ans de prison pour des commentaires sur la monarchie que d'autres ont postés sur son site internet.

«Les gens me demandent 'pourquoi ne vous enfuyez-vous pas?'. Mais ce n'est pas mon choix du tout. J'ai grandi en Thaïlande. Je fais partie de cette société», explique l'éditrice du très populaire site d'information Prachatai, que l'on pourrait traduire par «les gens libres».

«J'espère toujours être défendue par le fait que j'ai respecté la loi», ajoute-t-elle lors d'une rencontre avec l'AFP.

Chiranuch, 43 ans, a été arrêtée en septembre, à son retour d'un séminaire en Hongrie sur la liberté sur internet. Elle a été inculpée d'infraction aux lois sur l'informatique et sur le crime de lèse-majesté, qui interdisent toute critique envers la famille royale.

Son crime: n'avoir pas retiré assez vite de son site, en avril 2008, des commentaires sur un entretien avec un homme lui-même condamné pour lèse-majesté. Il avait refusé de se lever pendant l'hymne royal joué dans un cinéma.

Déjà sous la menace d'un procès au terme duquel elle risque 20 ans de prison pour d'autres faits similaires, Chiranuch, en liberté sous caution, craint désormais 50 ans de plus derrière les barreaux.

Le gouvernement thaïlandais, dit-elle, essaye de pousser la population à l'auto-censure. «Ils créent une sorte de peur», estime-t-elle. «Ils essaient de contrôler ou de réduire au silence la voix du peuple».

La monarchie est un sujet quasiment tabou en Thaïlande, un pays profondément divisé socialement et secoué, au printemps dernier, par une violente crise politique.

Le roi Bhumibol Adulyadej, le plus ancien monarque en exercice dans le monde, est immensément révéré par ses sujets dont certains le considèrent comme un demi-dieu. Et son image a fait l'objet ces dernières années d'une protection de plus en plus draconienne.

Selon David Streckfuss, auteur d'un ouvrage sur les lois anti-diffamation, une moyenne de 5 à 10 affaires de lèse-majesté étaient jugées chaque année entre 1995 et 2004.

Ce nombre a augmenté de façon spectaculaire après 2006, jusqu'à 100 par an, pour atteindre 164 cas en 2009, dont 80 condamnations.

«Une nouvelle conscience s'est réveillée, exprimant un certain mécontentement envers l'institution. Et malheureusement, il y a eu une tendance à confondre les appels à réformer l'institution avec les appels à l'abolir», commente-t-il.

Les groupes de défense des droits de l'Homme accusent la Thaïlande de brider la liberté d'expression via ces lois de lèse-majesté, ainsi qu'en maintenant l'état d'urgence sur Bangkok et les provinces avoisinantes depuis le mois d'avril.

Au printemps, la répression des manifestations des «chemises rouges» antigouvernementales avait fait 91 morts et 1900 blessés dans la capitale. L'état d'urgence a permis depuis l'arrestation, sans intervention de la justice, de centaines de suspects.

Plusieurs télévisions, journaux, radios communautaires et sites Internet ont été fermés. Prachatai a également été bloqué plusieurs fois.

Reporters sans frontières a rétrogradé la Thaïlande au 153e rang mondial pour la liberté de la presse, derrière la République démocratique du Congo (RDC) et les Territoires palestiniens.

À contrecoeur, Chiranuch a décidé de fermer le forum de son site en juillet. Mais elle espère toujours l'abandon des poursuites et proclame son innocence.

Elle l'a affirmé inlassablement, pendant 13 ans, aux malades du sida auprès de qui elle travaillait: «le silence, c'est la mort».