Les inondations historiques qui ont dévasté une partie du Pakistan continuent de déstabiliser le pays. Ces jours-ci, la crise politique s'envenime, explique notre collaborateur. Des propriétaires terriens, qui sont aussi des élus locaux, sont accusés d'avoir détourné les cours d'eau pour sauver leurs domaines.

Trahis. Le mot revient dans la bouche des sinistrés du district de Muzaffargarh, dans l'est du Pakistan. Au bord d'une route poussiéreuse, un campement du Croissant-Rouge abrite les habitants du village de Mehmood Kot. Parmi eux, Abdul Jhabbar, ouvrier agricole qui a fui les inondations.

«Notre village est à 8 km du fleuve. Les flots ont tout détruit et 400 maisons sont sous l'eau», explique cet homme de 37 ans, mal rasé, les paupières lourdes.

«En revanche, le village de Lasoori où vit la famille Khar, qui détient des dizaines d'hectares de terres, est au sec alors qu'il est en face du fleuve. Ils ont forcément détourné le cours d'eau», lance-t-il.

Rapidement, des dizaines de réfugiés se rassemblent autour de lui. Tous hochent la tête. «Les Khar ont persuadé les autorités de percer la berge pour dévier le courant et sauver leur domaine. La berge était solide. Elle n'aurait jamais dû céder», confirme Ashiq Hussein, sinistré.

Comme les grandes familles qui dominent les régions rurales du Pakistan, les Khar détiennent à la fois les terres agricoles et les sièges de députés au Parlement. «Nous avons toujours voté pour eux. Malgré ça, ils ont détruit tout ce que nous possédions et ont failli nous tuer en nous inondant», déplore Abdul Jhabbar.

«Les chasser du pouvoir»

Les sinistrés sont unanimes: plus jamais ils ne voteront pour eux. «On ne peut pas se battre contre eux. Sinon, la police, qui est de mèche, nous jettera en prison. Mais si un parti politique veut les chasser du pouvoir, nous le soutiendrons», dit Mohammed Iqbal, meunier qui a fui sa maison.

Un sentiment que Jamshed Dasti, député du PPP, principal parti politique pakistanais, a bien compris. À Muzaffargarh, il se présente comme l'homme du renouveau.

Depuis le début de la catastrophe, cet homme d'une trentaine d'années, moustache noire et visage rasé de près, est en campagne électorale. Il a fait placarder des affiches à son effigie et mis à la disposition des sinistrés deux bus gratuits.

Assis en tailleur sur un lit d'une chambre d'hôtel où il reçoit la presse, il explique son programme: «Il faut en finir avec les propriétaires terriens et les remplacer par des figures proches du peuple, issues de la classe moyenne comme moi.»

Pouvoir discrédité

Ce discours antipropriétaires se répand. Dans plusieurs régions, des histoires similaires à celle de Muzaffargarh circulent. À la fin du mois d'août, Geo TV, première chaîne de télévision pakistanaise, a diffusé une enquête selon laquelle un propriétaire terrien de la province du Sindh, dans le Sud, avait dévié le cours du fleuve en crue pour sauver ses terres.

La controverse discrédite un peu plus le pouvoir civil, déjà très critiqué pour son inertie. Les rumeurs d'un coup d'État militaire se multiplient même si l'armée pakistanaise n'envisage pas de prendre le pouvoir. Il y a deux semaines, le quotidien anglais The Sunday Express a révélé que Londres avait prévu évacuer ses ressortissants si le régime démocratique était renversé.