Quelque 7000 athlètes et officiels de 71 nations et territoires de l'ancien Empire britannique sont attendus du 3 au 14 octobre à Delhi pour les Jeux du Commonwealth. Mais à 12 jours du coup d'envoi, le fiasco est à craindre: l'effondrement d'un pont hier près d'un stade et les commentaires désastreux d'équipes sur l'hygiène du village sportif s'ajoutent au désespoir des expropriés chassés de leur bidonville. Notre collaboratrice en Inde a rencontré certains d'entre eux.

D'un rire gêné, Dinesh Kumar montre son abri de deux mètres cubes fait de bric et de broc. «Il y a des jours où j'aurais envie de tuer ma femme et mes trois enfants, avant de me flinguer» confie-t-il. Le jeune quarantenaire n'a pas toujours été suicidaire. Son enfer a commencé il y a 21 mois.

Sans préavis, le 12 janvier 2009, 12 bulldozers et des centaines de policiers sont arrivés à l'aube dans le bidonville de Prabhu Market. «Sans même nous donner le temps de prendre nos biens, ils ont détruit nos habitations», se rappelle l'ancien président de l'Association des résidants de la colonie. Du coup, plus de 600 petits travailleurs se sont retrouvés sans toit, par 7 ºC.

Avec la tenue imminente des Jeux du Commonwealth, les évictions -généralement forcées et sans compensation- pour construire des infrastructures ou pour «enjoliver» la ville ont monté en flèche. L'objectif: montrer aux touristes et aux téléspectateurs que Delhi est une ville de «classe mondiale».

«Près de 350 agglomérations logeant quelque 300 000 personnes ont été détruites entre 2003 et 2008 à cause des Jeux», estime Miloon Kothari, directeur d'un organisme qui s'occupe du droit à l'hébergement. Malgré les promesses et les obligations légales, seul un tiers de ces gens ont été relogés, fait-il valoir. Le plus souvent en périphérie de la ville, loin de leur lieu de travail.

De surcroît, l'eau, l'électricité, les installations sanitaires et les écoles font cruellement défaut dans ces endroits, souligne-t-il. Mais tout le monde n'a pas la chance d'être relogé. Selon le gouvernement, Delhi compte environ 80 000 sans-abri. Quant aux ONG, elles estiment leur nombre à 140 000, l'équivalent d'un peu plus que la population de Trois-Rivières.

Investissements pharaoniques

En revanche, les autorités n'ont pas lésiné sur les moyens pour refaire une beauté à la capitale. Le budget initialement fixé lorsque Delhi a remporté l'appel d'offres en 2003 était de 422 millions de dollars. Selon l'estimation qui circule, le total aurait atteint la somme pharaonique de 1,6 milliard de dollars.

À Prabhu Market, les habitants ont dû débarrasser la place pour la construction d'un stationnement. Là où s'entassaient depuis 45 ans 250 habitations de fortune ingénieusement organisées et un solide tissu social, s'étend désormais une surface de 1,2 kilomètre sur 50 mètres de beau ciment lisse. Cinq cents bus pourront se garer à deux pas du stade Jawaharlal Nerhu pour les cérémonies d'ouverture et de fermeture des Jeux.

Depuis, les résidants expropriés se sont dispersés dans la nature. Certains sont retournés dans leur village d'origine, d'autres ont rejoint des membres de la famille ailleurs dans la ville. Certains passent la nuit au temple, plusieurs dorment à la belle étoile.

C'est le cas de Shanti Devi, petite femme ratatinée d'une soixantaine d'années. Elle est devenue veuve peu après janvier 2009. «Mon mari n'a pas survécu au froid», lâche-t-elle le regard fixé sur son seul sari, usé à la corde. Ses maigres possessions sont réunies sous un sac de plastique et une brique sur le pavé où elle dort.