En trois mois, la Chine a reçu des dirigeants considérés comme peu, voire pas du tout, fréquentables: le Birman Than Shwe, le Nord-coréen Kim Jong-Il et l'Iranien Mahmoud Ahmadinejad, poursuivant ses intérêts économiques et stratégiques au mépris de son image.

La Chine, membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU de plus en plus appelé à endosser des responsabilités à la mesure de sa nouvelle puissance dans la marche du monde, a ainsi accueilli les dirigeants de trois pays sous sanctions internationales et considérés comme au mieux fauteurs de crises au pire incontrôlables et dangereux pour la planète.

Cette semaine, la Chine déroule le tapis rouge pour le généralissime Than Shwe, dirigeant d'un «pays ami» auquel elle a accordé dès le premier jour de sa visite d'État son soutien pour les législatives du 7 novembre, qualifiées «d'avancée vers la démocratie» mais rejetées comme une mascarade en Occident.

Début septembre, c'est un autre reclus, à la tête d'un pays encore plus isolé, donc encore plus dépendant de Pékin, le Nord-Coréen Kim Jong-Il, qui a fait son deuxième voyage en trois mois en Chine, seul pays où il se rend désormais.

En juin, deux jours après le vote à l'ONU d'un quatrième train de sanctions «bonnes pour la poubelle», le président iranien se servait de la tribune offerte à l'Exposition universelle de Shanghai pour fustiger «les puissances nucléaires (qui) monopolisent la technologie».

Et si M. Ahmadinejad n'est pas allé jusqu'à Pékin voir les dirigeants chinois, la Chine a rappelé ce jour-là qu'elle attachait «une grande importance à ses relations avec l'Iran».

«Si Pékin est conscient du caractère potentiellement dévastateur pour son image de certains de ses alliés les plus proches, il ne souhaite pas réduire la marge de manoeuvre que ces pays peuvent lui offrir sur la scène internationale», estime Valérie Niquet, responsable du Département Asie de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

Corée du Nord, Birmanie, Iran, ces trois amis ombrageux de la Chine ont pour point commun «d'être en délicatesse avec les États-Unis et leurs alliés européens et japonais», note Jean-Pierre Cabestan de la Hong Kong Baptist University.

Ils sont «autant de pierres dans le jardin américain et de pions dans le jeu bipolaire que la Chine mène avec, et contre, les États-Unis», ajoute M. Cabestan qui vient de publier «La politique internationale de la Chine».

La stratégie qui permet à Pékin de «s'imposer comme intermédiaire» avec ces pays «a toutefois des limites», pour Mme Niquet.

«Washington semble aujourd'hui plus dubitatif sur l'effet ''positif'' joué par Pékin sur la question nord-coréenne» où la Chine s'est rendue incontournable sans pour autant obtenir que Pyongyang revienne à la table des négociations sur son programme nucléaire, dont elle est l'hôte.

Dans l'écheveau des intérêts économiques et stratégiques chinois se mêlent pétrole (Iran), gaz (Birmanie), bois, minerais, pierres précieuses, ventes d'armes et accès à l'océan Indien (Birmanie) ou à la mer Jaune (port nord-coréen de Rajin).

«La Chine dispose d'un réseau d'États-clients, plus ou moins dépendants, qu'elle ne souhaite pas affaiblir en trahissant l'un de ses membres», explique Mme Niquet.

Et, en retour, il y a «la protection qu'elle peut offrir à ses alliés avec son droit de veto à l'ONU».

Pour Xu Tiebing de l'Université de communications de Chine, «aujourd'hui, la Chine suit sa propre voie. Elle s'intègre, à ses conditions, dans le monde, tout en gardant son autonomie et ses valeurs».

«Elle a choisi de défendre ses intérêts fondamentaux sans trop se soucier de l'opinion des Occidentaux», conclut-il.