L'équipementier sportif américain Nike pensait avoir trouvé le jardin idéal pour créer en plein Tokyo un parc à son nom avec une rampe de skateboard et un mur d'escalade. C'était sans compter avec des militants décidés à tout faire pour sauver cet espace vert.

Il y a quelques mois, la municipalité du quartier branché de Shibuya avait pourtant fait place nette en délogeant des dizaines de sans-abri qui vivaient dans le parc Miyashita, niché le long d'une voie ferrée.

Mais ils ont depuis été remplacés par des activistes qui bloquent les accès à ce jardin qui s'étend sur quelque 10 000 m2, un des rares espaces verts du quartier.

«Nous nous opposons au parc Nike!», proclame une banderole accrochée à une grille du parc, patrouillé jour et nuit par des militants afin d'empêcher les responsables locaux et les ouvriers d'y pénétrer.

«Nous sommes opposés au projet de la municipalité de Shibuya de laisser Nike construire des équipements sportifs et faire du profit dans cet espace public», déclare Tetsuo Ogawa, l'un des protestataires.

Une porte-parole de Nike au Japon rappelle que ce projet, né il y a trois ans, fait partie du travail de «responsabilité sociale» du groupe.

«Le parc va se transformer en espace public ouvert 24 heures sur 24 et deviendra plus sûr. Je pense que davantage de gens pourront en profiter, comparé à aujourd'hui», affirme-t-elle.

Les opposants au projet, dont les travaux devaient initialement débuter en septembre 2009, sont soutenus par des militants anti-globalisation en Australie, en France et en Thaïlande qui organisent des manifestations devant les ambassades du Japon et les magasins Nike en signe de solidarité.

Le contrat prévoit que Nike versera à la municipalité de Shibuya 17 millions de yens (environ 141 000 euros) par an pendant dix ans pour les droits publicitaires et assumera le coût des travaux.

Mais ce projet est loin de faire l'unanimité au sein du conseil municipal.

Certains responsables soulignent que les premières victimes sont les sans-abri qui vivent sous des cartons et des toiles de plastique dans les parcs et sous les ponts de la capitale.

Un membre de la municipalité, qui tient à rester anonyme, répond que le parc est depuis longtemps à l'abandon et que les personnes résidant à proximité se plaignent justement des sans-abri.

«Les équipements sont vétustes et la municipalité se doit de les rénover», déclare-t-il à l'AFP.

La municipalité se défend d'être insensible au problème des sans-abri, affirmant les avoir aidés à trouver une place dans des maisons d'accueil ou bien sur un site voisin, «avec une toile de tente pour chacun», précise ce responsable.

Il se dit irrité par les exigences des opposants qui bloquent les travaux. «Que veulent-ils encore que l'on fasse? Maintenant, ce sont eux qui empêchent les citoyens ordinaires d'utiliser librement un espace public.»

Les passants sont quelque peu décontenancés par le bric-à-brac de vieilles couvertures et d'objets quotidiens abandonnés par les sans-abri et transformés en «oeuvres d'art» par les manifestants, dont beaucoup se déclarent artistes.

En accrochant des parapluies usagés aux grilles ou bien en empilant des cadres de bicyclettes à l'envers, les activistes veulent exprimer leur opposition au projet de Nike en recyclant les objets laissés par les sans-abri, affirme M. Ogawa.

«D'un point de vue d'artiste, ce ne sont pas des déchets. À travers ces monuments, nous voulons montrer que des gens vivaient ici. Mais nous devons aussi ouvrir cet espace aux gens ordinaires. Tout le monde est le bienvenu pour partager un café ou un thé avec nous».