En boycottant les élections en Birmanie, le parti de l'opposante Aung San Suu Kyi a accentué le discrédit sur le scrutin, mais a aussi pris le risque de se marginaliser définitivement, estiment des analystes.

La Ligue nationale pour la démocratie (LND) était confrontée à un dilemme déchirant: participer aux premières législatives dans le pays depuis 20 ans après avoir exclu Mme Suu Kyi ou être dissoute par le pouvoir militaire à l'issue du délai légal du 6 mai.

En refusant de participer au prochain scrutin, conformément aux voeux de la lauréate du prix Nobel de la paix, les délégués de la LND ont choisi de torpiller le projet de la junte de s'offrir une légitimité électorale.

«Certains diront qu'ils se condamnent à l'inutilité, mais cette décision suggère (que les élections) sont un jeu auquel il ne sert à rien de participer», note Benjamin Zawacki d'Amnesty International.

En boycottant, «ils tentent de décrédibiliser les élections avant même qu'elles se déroulent. Ils essayent d'inventer un autre jeu».

Les États-Unis et l'Australie ont déjà exprimé leur déception, jugeant la junte responsable d'avoir acculé la LND au boycottage, vingt ans après son triomphe aux élections de 1990.

«La Birmanie a laissé passer une chance de démontrer qu'elle est prête à envisager une évolution différente et une relation différente avec son peuple», a estimé le porte-parole du département d'État, Philip Crowley.

Le ministre australien des Affaires étrangères Stephen Smith a de son côté jugé qu'une «élection sans la participation de la LND ne (pouvait) être considérée comme libre et juste».

Les lois électorales promulguées début mars avaient clairement pour objectif d'isoler Mme Suu Kyi, en interdisant aux partis de conserver dans leurs rangs des prisonniers politiques.

La «Dame» de Rangoun, toujours en résidence surveillée, a passé plus de 14 des 20 dernières années privée de liberté. L'exclure, même pour une noble cause, était impensable pour la LND.

Participer au scrutin obligeait aussi le premier parti d'opposition birman à se renier en acceptant la Constitution de 2008, adoptée par référendum dans un pays hagard, sur les ruines du cyclone Nargis (138 000 morts et disparus).

Mais la voie est désormais libre pour la junte du généralissime Than Shwe qui avait déjà réservé aux militaires un quart des sièges aux prochaines élections et peut se réjouir d'avoir complètement marginalisé son ennemie intime.

«Than Shwe ne veut pas de la LND dans la compétition électorale. En disant +non+, la LND tombe dans le piège qu'il lui a tendu», regrette Aung Naing Oo, analyste politique birman.

«Le groupe ne va pas disparaître du jour au lendemain, mais (...) il va devoir travailler hors du cadre constitutionnel légal et il n'y a qu'une seule façon de le faire, par l'affrontement».

La LND, telle qu'elle a vécu depuis vingt ans, est en grand danger, estiment des analystes.

Car ce risque de marginalisation pourraient pousser les factions rivales du parti au clash, les jeunes générations de la LND ayant montré ces dernières années une volonté de composer avec la junte, rompant avec l'intransigeance des cadres historiques du parti.

«Certains membres pourraient avoir un plan B, un autre cadre politique à mettre en place pour fonder un nouveau parti», pronostique Win Min, chercheur et militant birman installé en Thaïlande. «Nous devons attendre de voir ce qui va se passer après le 6 mai».